Wenneveria.

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Silence épais. Glaçant.

Entrecoupé par les râles et les gémissements des blessés et des mourants.

Hébétés, essoufflés, nous fixons tous le sol où quelques instants encore une fosse crachait un flot continu de bêtes hideuses.

Mon pouls refuse de redescendre à son niveau normal. Mes mains tremblent. Mes muscles sont raides. J'ai mal partout. J'ai peur également. Peur de me retourner et de voir des choses dont je ne veux garder aucun souvenir. Pourtant, je dois savoir. Je pivote lentement à la recherche d'Arthur et Tristan.

Ils sont là tous les deux à quelques mètres de moi. En aussi piteux état que moi, mais debout.

Les yeux d'Arthur brillent de cette lueur fantastique et irréelle au milieu de son visage maculé du sang noir des gargouilles qu'il a tuées. Son aspect est redoutable et effrayant pour un adolescent de quatorze ans. Il me scrute de haut en bas et de bas en haut, s'assurant que je ne suis pas blessée. Mon cœur se serre. Je m'oblige à ne pas m'y arrêter. Je ne peux pas. Pas encore.

Tristan, lui, chancelle légèrement. Il a une sale estafilade sur la joue.

— Tu vas bien ? me demande-t-il.

— Oui... Enfin... je crois...

Je hausse les épaules. Je suis debout et en mesure de marcher. Donc j'imagine que c'est bon.

— Venez, nous ordonne Arthur d'une voix dure et rocailleuse que je reconnais à peine, nous devons secourir les autres.

Dans les heures qui suivent, nous assistons ma mère, débordée par l'afflux des blessés plus au moins sérieux à la mesnie médicale. Je sais ce que nous pouvons faire pour l'aider : les trier à leur arrivée par ordre de gravité.

Je déglutis. Si en théorie, je n'ignore pas la nécessité d'une telle opération, en pratique, c'est beaucoup plus difficile à exécuter.

Comment abandonner quelqu'un sans rien tenter pour lui sauver la vie ni agir pour apaiser ses souffrances ?

Mes larmes coulent d'elles-mêmes sur mes joues. Je devrais être plus forte que ça pourtant. Je suis la fille de deux maîtres-chevaliers, parmi les plus puissants. Née pendant un conflit majeur, éduquée par et pour le combat. Promise à un destin plus difficile encore.

Je ne devrais pas pleurer. Non, je ne devrais pas.

Mais je ne parviens pas à m'arrêter.

Je continue malgré tout mon macabre travail, désignant ceux que l'on peut aider, écartant implacablement les moribonds.

Arthur émet toujours son aura de guerrier. Excalibur est restée à ses côtés. Elle pend dans son fourreau bleu nuit sur sa hanche. Son visage est grave. Il n'a plus prononcé un mot depuis que nous sommes ici.

Il n'en montre rien, mais j'ai bien compris qu'il attend des nouvelles de sa famille : Anna et Kay surtout. Tristan est dans le même état d'esprit aussi.

De mon côté, je suis informée de la santé des miens. Mon père est un roc. Avec mes deux frères, ils aident à ramener à la mesnie médicale les blessés trop mal en point pour se déplacer eux-mêmes. Sous les ordres de ma mère, ils installent un hôpital de campagne. Ils vont tous bien.

Je n'imagine pas ce que vivent mes deux compagnons. Propulsés dans un monde inconnu, dont ils commençaient tout juste à appréhender les règles. Ils auraient pu choisir de partir depuis longtemps. Encore plus maintenant face à l'horreur. Pourtant, ils restent là avec moi et avec ceux qui en ont le plus besoin.

— Allez prêter mainforte aux autres pour vérifier les décombres, nous ordonne maman tout en me serrant dans ses bras. Je vais m'en sortir maintenant.

Les mondes perdus de Brocéliande (Terminée, en cours de réécriture )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant