Bonus... (1ère partie)

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Par un bel après-midi d'été, une douce brise jouait avec les mèches blanches qui dominaient les brunes de la chevelure d'Aliénor. Malgré le temps et les épreuves, son beau visage ne portait que quelques rides, d'autant que ses yeux noisette brillaient avec autant d'intensité qu'à l'apogée de sa jeunesse. Toutefois, c'était le chagrin qui l'affligeait, la faisant paraître plus âgée, car elle contemplait le tumulus où reposait Eirik, enseveli dans son bateau sépulture depuis huit jours.

La nature chatoyante était célébrée par les chants des petits oiseaux qui semblaient étudier les deux humains, car Henrik, leur fils aîné qui arborait un crâne rasé sur les côtés et une épaisse et longue natte, comme son père au même âge, se tenait à quelques pas derrière elle : désireux de respecter son chagrin, puisque Aliénor et Eirik avaient partagé leur vie durant trente-deux ans, s'aimant comme aux premiers jours, cet arrêt était donc aussi brutal que cruel.

Leurs quatre enfants avaient grandi avec cet exemple d'amour fort et brûlant, qui avait résisté au temps, leur offrant à chacun une vie de couple aussi solide que la leur : Henrik, trentenaire était uni à Signi, la fille d'Aslak, ils avaient deux enfants et le troisième était en route ; Rurik avait pris pour femme Sunniva, eux aussi avaient deux enfants ; Lagertha avait épousé Grim et elle attendait leur deuxième bébé ; quant à Ingrid, elle était l'épouse de Thorkil, futur jarl, et ils venaient d'accueillir leur premier né.

En pensée, Henrik revivait inlassablement ce retour effroyable :

Ils avaient débarqué et rentraient au village. Aliénor était rayonnante entourée de ses petits-enfants en bas âge, mais son visage perdit son sourire en voyant l'air sombre du vieil Aslak en tête de convoi, puis Henrik en était sûr : lui comme son frère et ses sœurs n'oublieraient jamais le cri de désespoir que leur mère poussa en comprenant qu'on lui ramenait la dépouille de l'homme de sa vie.

Face au tumulus, Aliénor, le cœur lourd de chagrin, repensait à sa vie avec Eirik, qui avait été un mari dévoué, un amant fabuleux, un père attentif, un instructeur remarquable, un explorateur intrépide et un grand-père protecteur.

La guérisseuse tourna le visage en direction des deux silhouettes qui se dressèrent à proximité. Elle n'eut pas à regarder Henrik pour savoir qu'il avait mis la main sur son scramasaxe et qu'il étudiait les visiteurs d'un œil aussi perçant que son père, bien qu'il ait hérité de ses yeux noisette.

— Laisse-nous, demanda-t-elle à son fils, en danois.

Henrik obéit mais resta à la lisière de la forêt, pour veiller de loin sur sa mère, culpabilisant de ne pas avoir pu empêcher la mort de son père alors qu'ils menaient une expédition commerciale. L'équipage du vieil Aslak avait essuyé une attaque des Anglais. Tous deux du voyage, Henrik et Rurik n'eurent pas à insister beaucoup auprès du meilleur ami de leur père, pour qu'il accepte de ramener la dépouille à Aliénor. D'ailleurs, Aslak approuva la demande de la veuve d'offrir un bateau-sépulture à l'homme qui avait tant contribué à la prospérité du clan.

La magie des dieux aidant, Toki et Freya avaient à peine vieilli malgré le temps écoulé.

— Il a le regard de son père, sourit Freya, qui portait sa coiffe habituelle.

— Je sais, il est aussi fort que lui a son âge, se réjouit Aliénor. Mes enfants ont grandi avec le meilleur modèle possible, souffla-t-elle, désespérée qu'il ne soit plus là. Alors, soupira-t-elle. Que faites-vous là ?

— Nous sommes venus rendre hommage à un ami cher, répondit Freya, l'Enchanteresse.

— Après tant d'années et tant d'épreuves surmontées, c'est ce que nous sommes, ajouta Toki. Des amis !

Aliénor soupira à pierre fendre en posant son regard sur le tertre.

— Il a franchi les portes du palais du Walhalla, souffla-t-elle, des trémolos dans la voix. Un endroit qui m'est inaccessible, ajouta-t-elle en retenant ses larmes.

— Tu as encore beaucoup de belles choses à accomplir, répliqua Toki.

— Pas de prédiction, Oracle, clama Aliénor, le ton sec. Il me semble avoir passé l'âge de rejeter ta demande spéciale de règlement, s'amusa-t-elle n'ignorant plus rien des pratiques de l'Oracle qu'elle avait maintes fois repoussées.

— Tu es toujours aussi belle, répondit Toki, amusé mais sincère.

Aliénor marqua une nouvelle pause, en se tournant à nouveau vers le lieu de repos d'Eirik.

— Puisque vous vous prétendez des amis chers, usez de vos capacités pour offrir à mes enfants et mes petits-enfants la protection qu'ils viennent de perdre... sans Eirik, nous sommes dans les ténèbres, déclara-t-elle, les yeux dans le vague.

— Les temps changent, Aliénor, intervint Freya. La fin de notre mode de vie s'amorce, notre temps est compté !

— Pourtant le temps ne semble pas avoir d'emprise sur vous, objecta Aliénor.

— Ça ne sera bientôt plus le cas, grogna Toki. Ton ancien dieu a pris beaucoup plus d'emprise sur notre monde, objecta l'Oracle. Les dieux que nous vénérions nous tournent un à un le dos, car leur peuple les rejette pour ce Dieu qui se prétend unique.

— Assez, Toki, cesse de l'accabler, gronda Freya.

— Et alors, feula Aliénor, ignorant l'Enchanteresse. Que m'importe le sort de vos dieux qui ont laissé mon mari mourir ! gronda-t-elle, la gorge serrée par la douleur de son absence.

— C'est dans l'ordre des choses, se désola Freya avant d'avancer pour la prendre dans ses bras et la consoler.

Les deux amies de longue date s'accrochèrent l'une à l'autre comme à une planche de salut, puis elles s'écartent pour se dévisager avec tendresse :

— Mon cœur saigne, sanglota Aliénor, le visage inondé de larmes intarissables.

— N'oublie pas que vous étiez des âmes sœurs, affirma Freya. L'écho de vos âmes existe encore, quand ton chagrin sera moins lourd, vous pourrez vous y retrouver comme vous l'avez déjà fait par le passé.

— Il ne verra pas nos petits-enfants grandir, ni ne verra la prochaine génération, se désola Aliénor.

— Il faut penser à l'avenir, insista Toki. Eirik se prépare avec les autres braves pour le Ragnarök, tu peux être fière de lui, mais tu dois préparer les tiens pour...

— Laisse mes enfants en dehors de tes manigances, Oracle ! le coupa-t-elle, menaçante.

— Pas maintenant, Toki, objecta Freya. Nous allons te laisser, sourit-elle. Prends soin de toi et des tiens, mon amie !

Viking de feu et de sang - T2 🔞 (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant