Chapitre 8 : Le pendu

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La douleur de la fin de l'heure descendait dans mes reins. Elle envahissait déjà mon cou depuis plusieurs minutes. Cela me fatiguait d'avoir toujours la tête baissée. Comme ma nuque me brûlait, je la changeais de position et je regardais autre chose en la massant du plat de la main. Je n'étais jamais à court de prétexte pour ne pas regarder Noé. Il y avait plein d'endroits où poser son regard et attendre. Je regardais par exemple le bureau, là où il avait peut-être révisé son bac de français l'an dernier. Je regardais aussi un mur où étaient affichés des dessins. Je ne savais pas de qui ils étaient. Quand je les regardais, je me disais que c'était réellement une chambre dans un hôpital. 

— Tu as vraiment fait quelque chose de mal, Ange ? entendis-je, avec hésitation, de Noé.

Je profitais d'avoir posé mon regard pour réfléchir à tout ce qui allait suivre, à présent qu'on abordait ce sujet.

— Oui, répondis-je.

Je ne savais pas qu'on allait en parler aujourd'hui. Je ne m'étais pas préparé. C'étaient des souvenirs désagréables à invoquer, parce qu'il y avait dedans beaucoup d'agitation et beaucoup de bruit. Je me sentais fatigué à l'idée de tout ce que je devrais dire pour bien lui expliquer correctement tout ce qui s'était passé. Cependant, je me rappelais que je n'étais pas obligé de le faire bien. J'avais le droit de parler aussi négligemment que je l'avais toujours fait le mercredi, les yeux mis où je voulais, devant Noé.

— Tu es plein de surprises, avoua la voix mal assurée de Noé qui essayait tant bien que mal de garder son sourire. Tu sais, je ne pensais pas un jour rencontrer quelqu'un qui a fait du mal. Enfin, on fait tous du mal dans sa vie, je le sais bien, ajouta-t-il très vite, mais ce que la plupart des gens font de mal, ce sont des maux qui ne vont pas jusqu'aux autorités, des petites ou grandes erreurs qui ne dépassent pas le cadre de leur monde étroit, parce qu'elles sont commises en-dessous des lois et que ces affaires n'ont pas besoin d'être réglés par la justice de l'état. Toi, tu as réussi à faire quelque chose de fort qui a nécessité l'intervention de la justice de ce pays.

Je ne savais pas s'il me complimentait ou me réprimandait. Ce n'était pas clair.

— Tu as peur de moi ? demandai-je avec ma voix morne.

— Je ne sais pas, dit-il. Il y a des personnes que tu effrayes ?

— Il y a des rumeurs qui circulent parce que quelqu'un a révélé que j'avais un casier judiciaire.

— Oh, fit-il pensivement, ce ne doit pas être facile.

Je répondis assez distrait que oui. 

— Et tes professeurs à l'école, interrogea-t-il, ils sont au courant ?

— Le professeur principal a eu un rendez-vous avec la police. J'imagine qu'il a été obligé d'en parler aux autres. 

— La police...! répéta Noé avec une sorte d'effroi. 

— On peut parler d'autre chose si tu es mal à l'aise.

— Non non. Pardon, c'est que les mots m'impressionnent, je ne suis pas habitué à les entendre.

— Comme tu veux.

Noé paraissait très agité. Il avait des temps de silence plus longs que les autres. Je savais qu'il me regardait intensément et son regard sur moi n'était pas le même que celui de tout à l'heure. Je me demandais si c'était parce qu'il commençait à intégrer en lui-même une version différente de moi que celle qu'il avait l'habitude de visualiser.

— Ange, euh...

— Oui.

— Je ne sais pas comment mieux poser la question, mais je veux la poser quand même. Pardon si je me prends mal, c'est dur de réfléchir... Qu'est-ce que tu as fait au juste ?

Ange et NoéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant