Chapitre 1 : L'arrivée

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Je ne voulais pas être là.

Et lui non plus.

Pourtant, on était là tous les deux. 

Moi, j'étais le visiteur. On m'avait dit de me tenir assis à côté de lui pendant une heure.

Lui, c'était le malade. Il habitait la chambre 607.

— C'est toi, Ange, avait-il dit la première fois. Je te remercie d'être là, c'est gentil.

— C'est pas gentil, avais-je corrigé. C'est soit je suis là, soit j'ai des problèmes.

Il avait souri.

— Pourquoi tu souris ?

— Parce que tu es là, et ça me suffit que tu sois là. J'ai quelqu'un à qui parler. Tu ne te sens jamais trop seul dans le monde, quand tu n'as personne à qui parler ? En apparence, j'ai beaucoup de gens à qui parler : il y a autour de moi de très gentils infirmières et infirmiers au sourire magique, et puis ma professeure, qui est sans doute la meilleure professeure au monde, et mon médecin, et aussi mes amis d'ici que je peux voir à certaines occasions, et puis mes parents, évidemment, même si ça va faire un an que je ne les ai pas vus. Mais pas de garçon de mon âge. Et toi, me dit-il en me regardant intensément, tu es un garçon de mon âge.

Je ne lui fis part d'aucune réaction. Assis contre son oreiller, il faisait brûler ses yeux sur moi pour que je sente les vapeurs de son désir de me connaître, en attendant patiemment que j'y réponde en montrant un feu peut-être semblable. Cet être glacé et timide était curieux de moi, détaillait ma physionomie, anatomisait ma posture et cherchait mon regard : mais lui donner ma présence était bien assez. Je gardais mes yeux ailleurs.

Puisque je ne voulais pas être là, à l'hôpital, parce que je ne ressentais pas des choses telles que la pitié ou la préoccupation des plus faibles que moi, parce que la lutte d'un corps humain avec la malchance ne me concernait pas, je ne voulais pas le regarder.

Je l'avais écouté, mais je n'avais pris aucun intérêt pour ses paroles, de la même façon qu'au lycée j'avais l'habitude d'entendre davantage les voix de mes professeurs que les mots qu'ils prononçaient. Et tout comme là-bas, je n'avais pas la volonté de m'inventer un profil ici. Si quelqu'un de meilleur que moi à la place que j'occupais aurait pris une voix douce pour poser des questions, émis un gémissement tendre, esquissé un geste attentif pour montrer sa prévenance au jeune malade et lui faire entendre des paroles agréables, je demeurais face à lui avec l'indifférence qui m'était naturelle ; je ne sentais rien en moi que je pouvais lui transmettre. Je n'avais rien à donner ou à montrer. J'avais beau savoir ce qu'on attendait de moi, le comprendre ne me transformait pas.

— Alors, tu vas venir tous les mercredis à partir de maintenant, Ange ? demanda-t-il, d'une façon qui essayait de contenir son excitation, comme s'il ne voulait pas la faire éclater tout de suite. Tu as un si joli prénom. Ange, répéta-t-il plus bas avec une admiration. C'est rare, un garçon qui s'appelle Ange. Je trouve ça magnifique. Pour être honnête, je trouve que ça a quelque chose de somptueux, ajouta-t-il en y mettant une sorte de dignité.

J'haussai les épaules.

— Ça fait fille à papa quand on ne m'a jamais vu, ça fait fils à maman quand on me rencontre.

— Pas du tout, protesta-t-il. Un ange, ça n'a pas de genre, ça ne peut faire ni fils à maman, ni fille à papa. D'ailleurs, c'est un nom commun qui ne s'accorde qu'au masculin. On l'utilise aussi comme ça pour désigner les filles. C'est presque neutre dans notre langue, alors tu vois, ça va au-delà des genres et des choses humaines.

J'haussai encore les épaules.

— Et puis, un ange, continua-t-il, c'est un être céleste qui existe à part de toutes les entités. C'est au-dessus des humains, c'est libre et c'est divin, un ange, ça a des ailes dans le dos et une belle auréole dorée qui flotte sur la tête. Ça ne s'habille pas en robe ou en pantalon avec du tissu ordinaire, mais ça s'habille avec des nuages.

Ange et NoéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant