Ceux qui font plus de bruits que les vagues

5.1 : Drames à Washington

Washington était loin d'être un quartier aux abords entièrement pacifiques. Quand bien même ses habitants partageaient un éternel sourire aux petites joies quotidiennes, les activités illicites ne cessaient leur propagation dans les couloirs assombris, les immeubles abandonnés. La population semblait adaptée aux tensions constantes.

La police débarquait rarement dans ce quartier. Il n'y avait pas de contrôle ni d'arrestations ; ces négoces de l'ombre étaient la plupart du temps en phase totale avec la corruption régnant dans les services de protection.

L'on pouvait parfois sentir de fortes exhalaisons de matières inconnues (le plus souvent, de la drogue) émanant du fumoir le plus proche. Quelques fois aussi, l'on entendait des jeunes délinquants jouer au « plus dangereux » dans les ruelles sinueuses, se bagarrer parfois à l'arme blanche pour montrer sa ténacité. Et les bagarres de gangs de quartiers finissaient la plupart du temps en bains de sang. Ils s'attaquaient dans les ravins vers la lagune pour des raisons inconnues qu'on devinait liées à leurs activités criminelles.

Washington était insécure, et tous le savaient bien. Une nuit fraîche, Enedia s'était assise devant la cour commune avec ses jeunes sœurs. Il était encore dix-neuf heures et la population était encore active, certains commerces étaient encore ouverts, des employés rentraient du travail. Une voiture rouge que l'on devinait de luxe passa lentement sur la voie pleine de bosses. De la musique s'en échappait et produisait un fort effet de surround dans le quartier, de sorte à captiver toute l'attention. Cela fut réussi : comment ne pas être aveuglé par l'éclat de cette carrosserie à la lumière orange des lampadaires, et comment ne pas être dérangé par cette forte musique ?

La voiture s'arrêta à quelques mètres devant un petit immeuble d'un étage, délabré et vieilli. Un jeune homme en sortit, vêtu d'une veste en cuir noir, un jean slim et de magnifiques paires de chaussures. Il enleva la casquette sur sa tête et là, Enedia le reconnut instinctivement.

C'était Andy, l'ex-petit copain d'Imeka. Le seul avec qui elle semblait, d'ailleurs, s'épanouir ; il savait éviter les situations qui risqueraient de la fâcher, maîtrisait ses émotions sur le bout des doigts, et grâce à lui, sa sœur passait des journées à sourire béatement. Malheureusement, il avait préféré la facilité à l'honnêteté.

Il avait été le fruit d'une ascension fulgurante. Du jour au lendemain, il s'était métamorphosé en un autre homme.

Imeka l'aimait lorsqu'il se débrouillait à travers la vente de bricoles sur l'autoroute, proposées aux automobilistes qui s'arrêtaient lorsque le feu virait au rouge, ou lorsqu'ils ralentissaient. Son gain lui permettait au moins de subvenir à ses besoins.

Mais plus le temps passait, plus on le voyait traîner avec des personnes de moins en moins recommandables et entrer dans un fameux cybercafé très connu pour être l'antre des cybercriminels ; deux mois plus tard, il était à bord d'une 4×4 rouge, exhibait sur lui des vêtements de grandes marques, et surtout ses liasses de billets violets. Cela ne fit aucun doute ; le jeune homme avait eu affaire à la cybercriminalité, communément appelée broutage et se faisant passer pour de belles jeunes filles sur la toile, arnaquait des hommes assez naïfs à l'étranger qui leur envoyaient de l'argent.

Dans une Afrique qui néanmoins n'avait pas tout perdu subsistait la sorcellerie ; des règles s'établissaient pour chaque cas : interdiction de dormir une fois la lune levée, obligation de porter ses amulettes et de suivre des rites particuliers. Cela leur permettait, apparemment, de saisir de plus grosses proies, tout en leur ensorcelant au mieux l'esprit pour qu'elles ne se rendent pas rapidement compte de la supercherie.

Imeka le quitta dès qu'elle comprit son choix. Il était maintenant riche et oui, il aurait pu faire beaucoup pour elle. Mais la jolie demoiselle ne voulait pas de l'argent sale.