Tamsir avait été écroué à la Maison d'Arrêt de Yatu en attendant son procès. Ses conditions de vie étaient misérables et il résidait dans l'une des pires cellules de la prison : son matelas était maculé d'un vieux sang, des cafards et des rats se baladaient dans ses affaires et sa chambre, son colocataire était une personne violente, les toilettes étaient en piteux état. Il avait réussi à contacter sa mère et ils s'étaient rencontrés à la prison, à l'occasion d'une visite. Elle l'avait giflé, avait pleuré de désespoir face aux atrocités qu'il avait commises, mais il n'avait pas montré une seule once de regret. Il voulait plutôt s'évader, s'enfuir de cet endroit qui n'avait rien à voir avec la vie dorée qu'il vivait en puisant dans ses affaires criminelles.
Il avait réussi son pari fou et s'était évadé en seulement deux semaines grâce à une prise d'otage. Tous les médias s'étaient alarmés et l'opinion publique était en furie. Comment un détenu aussi dangereux avait-il pu quitter un centre pénitentiaire qui disait être si sécurisé ? D'autres détenus ne pourraient-ils pas faire comme lui ?
*
La pluie s'abattait férocement sur les toits de Kérénou. La boue et les flaques d'eau prenaient maintenant presque entièrement la voie autrefois sablonneuse. La senteur de la vase se répandait dans la ruelle au fur et à mesure que les caniveaux se gorgeaient d'eau, risquant bientôt d'être inondés. Le chef gendarme manqua de trébucher mais se rattrapa de justesse, saisissant le poteau à ses côtés. Il remit son arme à feu en place et, d'un coup d'œil circulaire et bref, il se rassura des positions de ses hommes. Un jeune homme du nom de Kobenan se tenait dressé à quelques mètres de lui. C'était un garçon incroyablement dévoué après son entraînement militaire. À son arrivée, il était juste un peu mou, pessimiste et avait la vision raccourcie ; mais dès que le général avait saisi son blocage psychologique, le jeune homme découragé et sans espoir depuis la disparition de son paternel était devenu un garçon résistant et vaillant. Ce qui l'avait encore plus redynamisé, ce fut lorsqu'il apprit l'histoire sordide de la famille Bagnada lors de son échange avec Enedia. Depuis cet instant, une sorte de rage avait habité en ce garçon. Un regain d'énergie palpable. Une force intérieure insoupçonnée.
Kobenan n'aurait pas dû faire partie de cette opération de capture. Il était encore un élève en pleine formation, n'avait obtenu aucun diplôme, mais il avait développé ses compétences de manière fulgurante. En juste quelques mois, il avait atteint un niveau surprenant en maîtrise des combats et des armes à feu basiques. Il apprenait à une vitesse record.
Le jeune homme s'était caché, cette nuit, dans le véhicule de la gendarmerie alertée de la présence du criminel dans leur ville ; il voulait à tout prix participer à sa capture. Le chef ne l'avait aperçu qu'au dernier moment. Il risquait gros cette fois pour son acte infondé aux yeux de ses supérieurs, mais un autre commandant l'avait observé avec un regard rieur, puis avait déclaré « On fait des choses idiotes pour ceux qu'on aime ». Il aimait Enedia qu'il considérait comme sa petite sœur, il aimait cette famille avec qui il avait grandi, et il désirait inconsciemment se considérer comme leur sauveur, d'une certaine manière.
Les forces de l'ordre les protégeaient depuis la nouvelle fuite du criminel, mais il voulait les absoudre de toute peur.
Le lieutenant tendit l'oreille à travers le bruit de la pluie. Là, dans cette habitation inachevée, entre ces murs poisseux et cette humidité, se cachait ce criminel dément, qui agissait en ignorant l'enfer qui l'attendait. Ils se rapprochèrent, encerclèrent l'habitation aussi vide que cette portion fantomatique de la ville et détruisirent la porte d'entrée. Ils évoluèrent entre les murs, sondant chaque pièce, puis le lieutenant, suivi de Kobenan et d'un autre gendarme, tombèrent sur le recherché, un salopard rusé et diabolique. Il était nu à côté d'une femme évanouie, vêtue de haillons et aux cheveux ébouriffés. Il s'agissait peut-être une malade mentale. La ville regorgeait de personnes démentes, qui n'avaient plus de toit, plus de foyers et n'étaient prises en charge ni par leur famille, ni par une structure dédiée qui attendait de recevoir les patients avec une somme d'argent pour leur entretien. Si l'on considérait cette hypothèse, elle n'avait sûrement pas donné son consentement pour quoi que ce soit. La zone puait la drogue, et le lieutenant put même apercevoir une seringue à côté du bras de la femme. Le violeur quant à lui était semi-conscient et, sans crier gare, souleva une arme dans la pénombre et la pointa vers les gendarmes. Les coups de feu furent soudains ; il visa les trois hommes à la fois, rata deux cibles, mais le gendarme derrière Kobenan reçut cependant un coup dans sa jambe. Là, Kobenan n'attendit aucun ordre. Il tira sur la main du meurtrier, qui lâcha immédiatement l'arme. Ce dernier ne perdit cependant pas son sang-froid et, prenant l'arme de l'autre main, se dépêcha vers une sortie derrière lui.
- Rattrapons-le ! hurla le lieutenant, qui se mit à sauter les flaques d'eau géantes.
Deux forces de l'ordre restèrent avec la femme endormie et les autres cherchèrent à cerner le recherché qui utilisait sa connaissance des lieux pour gagner du temps. Ils sortirent sur une dalle derrière la maison, et l'homme courait toujours vers une forêt plus loin. Il fit subitement volte-face et alors pointa son arme, mais le lieutenant ne lui laissa pas le temps de tirer. Il visa sa main valide, puis sa cuisse, et le meurtrier s'affala. Ils se dépêchèrent vers lui. Ce dernier rampait sur le sol boueux et se mit à hurler comme quelqu'un dont on déchire les entrailles. Kobenan l'observa avec dégoût et réalisa à quel point il avait envie de se ruer sur ce type et de le tabasser jusqu'à ce qu'il ne devienne qu'un amas de chair.
C'est là que le criminel se retourna. Son regard semblait moqueur, malgré ses cris qui tendaient d'ailleurs vers le rire, alors Kobenan lui assena un coup de poing dans la mâchoire, puis un autre...
- Kobenan ! cria son chef. Qu'est-ce que tu fais ?!!
Ses compagnons le retinrent éloigné de la vermine dont on liait désormais les poignées. Une ambulance ne tarda pas à arriver et les personnes blessées furent embarquées. Comme si Tamsir savait que Kobenan était autant impliqué dans cette cause, il se retourna et le nargua. Tamsir était un véritable monstre qui avait fait du mal à cette fille qu'il a toujours aimée et à sa famille.
Il mérite de disparaître.
*
Tamsir était à nouveau écroué et cette fois, il se retrouva face à un problème qu'il ne pourrait régler facilement.
La famille Bagnada avait appris qu'il s'était fait battre plusieurs fois en prison, car un détenu avait appris son histoire et l'avait reconnu. C'était Zimmeck, le frère d'une jeune femme agressée sexuellement et tuée par ce criminel, encore une fois pour des raisons de mysticisme. « Je vais te faire regretter ce que tu as fait à ma sœur, ainsi qu'à toutes ces autres femmes. Moi, je pense que les femmes sont des êtres sacrés et tu as osé les humilier. Tu vas payer. »
Même si Tamsir était arrêté pour ses crimes, la justice n'avait pas encore rendu son verdict et ce combat n'était pas encore terminé. Cependant, Enedia se demandait si elle retrouverait un jour la voie du pardon. La rancœur qu'elle avait ressentie pour Tamsir la dévorait à petit feu ; elle désirait qu'il soit torturé, qu'il souffre physiquement et psychologiquement comme toutes ses victimes. Parfois, elle nourrissait le sentiment que tout ce qu'il vivait était insuffisant par rapport à ce que sa famille avait dû endurer. « Le pardon, lui avait une fois expliqué sa mère, c'est d'abord un bien que tu te fais à toi-même. Tu te libères des sentiments négatifs tels que la haine, la colère, la tristesse et le ressentiment. Tu abandonnes ce qui t'a fait du mal, car continuer d'y penser et fomenter une vengeance au lieu de la justice, c'est encore une fois te faire du mal à toi-même. »
Quelques jours avant son départ pour l'université, toute la petite famille avait décidé d'organiser une petite fête à la maison pour célébrer la vie, l'amour et le bonheur. Ils avaient invité les personnes qui les avaient soutenues dans la tristesse et la souffrance qu'ils avaient ressenties, soit Claire et Nye, ainsi que Kibi, Maïmouna qui avait besoin de soutien et Yelenn qui semblait épanouie. Ils s'étaient tous installés à l'extérieur, riant et discutant comme de très vieilles connaissances. À un certain moment, Imeka s'était éclipsée, très vite suivie d'Enedia et de Tinanoh. Elles s'étaient retrouvées dans la chambre de la bicoque familiale, face à la photographie de leur père. Tinanoh observa ses petites sœurs d'un œil attendrissant et passa ses bras autour de leurs cous, puis murmura : « Je suis fière de vous, les filles, et papa aussi, depuis là-haut. ».
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Ceux qui font plus de bruits que les vagues
General FictionDans un quartier marqué par la pauvreté, Enedia lutte pour surmonter les défis qui entravent son chemin. Issue d'une famille démunie, elle voit sa vie basculer lorsque sa sœur Imeka est kidnappée par un mystérieux homme aux intentions sombres. Alors...