Sur son petit téléphone à touche, Enedia regarda la date. Vingt-quatre octobre, affichait l'écran au fond fleuri ; c'était sa date d'anniversaire.
Ce jour-là, elle avait dix-huit ans et comme cadeau, elle put enfin reprendre le chemin de l'école. Les cours avaient débuté depuis le 1er octobre, mais elle ne sautait dans le train de l'année scolaire que maintenant car son père, ayant plusieurs dépenses sur la tête, n'avait pu lui payer l'inscription assez vite.
Personne ne s'était souvenu de cette date importante. D'ailleurs, cela ne lui faisait ni chaud ni froid ; sa famille ne fêtait presque jamais les anniversaires, et c'était à peine s'ils se souhaitaient tout simplement « Joyeux anniversaire ». Kibi était le seul qui aurait pu s'en souvenir et lui verser de l'eau sur la tête comme le suggérait la tradition urbaine des anniversaires. Cela lui rappela cet ami que Enedia n'avait pas revu depuis son départ. Avec lui, les sempiternelles discussions à la lueur des lampadaires s'étaient évadées, ainsi que les disputes entre optimiste versus pessimiste et les orientations postbac qu'ils évaluaient. Elle ne voudrait jamais le reconnaître en sa présence, mais Kibi lui manquait énormément. Malgré son pessimisme extrême, elle l'aimait beaucoup et regrettait cet incendie qui les avait séparés si vite. En parlant de ce dommage sinistre, de nombreux inspecteurs de police ne cessaient leurs investigations afin de conclure l'affaire du meurtre, ainsi que celui de cet incendie, sans oublier la forte corrélation entre les deux incidents. L'on en parlait partout, que ce soit à la radio de Yatu comme au journal national de vingt heures, dans la presse ou dans les bavardages de la population.
Lorsqu'elle passa le portail de son école, elle reconnut le directeur, monsieur Bielou, qui posté auprès des gardiens, observait chaque élève qui entrait. Par-dessus ses lunettes aux verres rectangulaires, il toisait et inspectait méthodiquement les tenues vestimentaires. Chaque élève devait être fourré, chemise dans la jupe ou le pantalon, avec pour les filles l'obligation de porter un ruban noué ou un nœud bleu témoignant de leur branche scolaire technique, et le badge de l'école devait être solidement fixé sur la chemise blanche aux manches courtes. Quelquefois, il arrêtait deux ou trois élèves en laisser-aller à qui il intimait l'ordre de se reprendre, ou répondait aux salutations des élèves. Enedia dépassa sans souci l'homme minutieux, habitué au redressement.
L'école lui avait quand même manqué. Elle était ravie de retrouver certains amis, de revenir pour apprendre le maximum des choses.
S'il y avait bien un endroit où les inégalités sociales semblaient invisibles, c'était là, dans ce bâtiment jaune-marron que ce soit au niveau estudiantin comme aux estimes réciproques. Ils paraissaient toujours semblables malgré leurs différences et difficultés. Par exemple, personne ne saurait qu'elle portait la jupe de sa petite sœur parce que la sienne était en mauvais état, et que sa mère ne pouvait la changer. Tous ignoraient aussi l'« obsolescence » de sa chemise blanche vielle de six ans quand bien cela se voyait par la couleur jaunie du tissu qui s'affaiblissait.
Elle rejoignit sa nouvelle classe qu'elle n'eut aucun mal à retrouver. Il avait un écriteau au-dessus de l'entrée et elle reconnut des amis de l'an passé, comme Idriss, y entrer.
Les salles ne s'enjolivaient pas chaque année par une bonne couche de peinture vivace et perduraient les mêmes, et les tags, dispersés çà et là sur les murs et écrits au marqueur indélébile survivaient malgré la volonté du directeur. Les tables-bancs de bois formaient des rangées ordonnées au nombre de cinq et pouvant servir plus de quarante élèves. Sur leurs planches aplanies, les dessins, les mots, les déclarations et même les antisèches des anciens résistaient au temps. Les fenêtres avaient été nettoyées et grandes ouvertes, mais les claustras du mur de droite restaient indéfiniment les nids de vieilles araignées.
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Ceux qui font plus de bruits que les vagues
General FictionDans un quartier marqué par la pauvreté, Enedia lutte pour surmonter les défis qui entravent son chemin. Issue d'une famille démunie, elle voit sa vie basculer lorsque sa sœur Imeka est kidnappée par un mystérieux homme aux intentions sombres. Alors...