Aux environs de dix-heures, Tiffany qui avait répertorié toutes les fournitures et documents à payer tendit la liste à Enedia. Celle-ci se mordit les lèvres et se mit à ronger ses ongles. Le total de prix indiquait trente-neuf mille francs. Et si elle enlevait certains documents et ne gardait que les plus essentiels, la note descendait à vingt-huit mille. Enedia soupira fortement d'un sentiment partagé entre la peine, le désintérêt et le stress. Toutes ces dépenses scolaires survenaient dans la même période et la stressaient beaucoup. Elle craignait malgré elle les charges qui s'ajoutaient sans cesse sur leur dos et entreprit de puiser dans le reste de ses bénéfices des vacances pour s'offrir les livres auxquels elle avait droit.
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À treize heures, Maïmouna tint à inviter Enedia au restaurant La bonne bouffe. Un petit local très prisé des étudiants qui en avaient un peu plus dans la poche. Le cadre était sympathique et bien aéré : de jolies petites tables disposées çà et là dans une grande salle aux carreaux jaunâtres. Enedia s'était assise auprès de celle qu'elle connaissait le mieux : Maïmouna, cette amie avait qui elle avait pratiquement grandi, mais qu'elle peinait à reconnaître. Quelque chose avait changé en elle. Ce n'était plus la jeune fille un peu folle et excessive, qui riait aux éclats dans le quartier pour se faire remarquer, qui portait des pagnes recousus en se baladant avec ses petites vanilles sur la tête. L'insouciance semblait avoir disparu, et l'élégance apparut. Elle était coiffée d'un tissage aux cheveux naturels, avait une quantité de maquillage réellement... excessive, ses chaussures semblaient de marque et hors de prix ainsi que son sac à main. Enedia préféra se dire qu'il s'agissait de contrefaçons, sinon, elle se poserait la question de savoir d'où venait tout cet argent.
Alice les rejoignit une dizaine de minutes plus tard et son regard assassin en disait long sur son rapport avec Enedia. À cause d'une broutille qui remontait à leur année de première, où elle avait triché et qu'on l'avait attrapée sans qu'Enedia la défende, l'élève s'était dit qu'il ne s'agissait que d'une traîtresse sans esprit de solidarité. Solidarité négative, compléta intérieurement Enedia. Alice ne l'aimait pas, cela était sans appel. Cela ne lui faisait ni chaud, ni froid.
Yelenn était particulièrement douce et charmeuse. Avec elle, Enedia se sentait presque comme une enfant, alors que juste trois années devaient les séparer. Elle tenta de lui faire la conversation pendant qu'elles mangeaient, ce qu'elle réussit avec brio. Elle l'avait toujours appréciée, Yelenn. Ce qu'elle dégageait était fort et l'attirait, quels que soient les ragots colportés sur elles.
Interrompant la conversation, Maïmouna qui fixait la rue à travers une baie vitrée, s'exclama en ces termes :
« Regardez qui arrive ! » et comme prévu, toutes cherchèrent à savoir ce qui lui avait valu sa parole.
Elle faisait allusion à Donovan. Enedia détourna automatiquement le visage et se concentra sur son foufou, le visage affichant un calme factice. Maïmouna, amusé, susurra :
« Ah, c'est Donovan... Enedia, c'est Donovan.
- Oui, et puis ? »
Maïmouna se contenta de hausser les sourcils en ricanant faiblement.
« Tu es amoureuse de lui ? fit Yelenn. Elle rajoutait de l'huile sur le feu, quelle histoire !
- Non, voyons. C'est juste un ami.
- Ça, c'est ce qu'elle dit ! »
Les deux filles partirent en rire au grand mécontentement de l'adolescente. Alors qu'il arrivait à leur niveau, Maïmouna la cogna doucement pour la provoquer. Heureusement, il semblait si happé par sa route qu'il ne les vit pas, au grand bonheur d'Enedia, et les dépassa sans faire attention à leur présence. Maïmouna savait qu'Enedia avait quelques vues sur lui-même si elle ne l'avouait jamais, et depuis ce temps, elle ne cessait et ne cesserait jamais de la taquiner à ce sujet.
Enedia avait beau refuser cette réalité et espérer les dissuader de leurs hypothèses, les deux amies ne manquèrent pas de lui lancer un regard amusé, suggérant un « On a tout compris ».
Elle se souvient instinctivement de Kibi, qui avait écrit une lettre pour sa promise et lui avait demandé de la garder. Enedia avait ri à ses mots, mais surtout ressenti une grande compassion pour son fidèle ami et ne voulait surtout pas autant souffrir à cause d'une personne, du moins, pas pour l'instant. Elle n'avait pas besoin d'amour, et surtout pas de celui du premier de classe.
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À dix-sept heures, Enedia suivit Tiffany chez elle afin de continuer à copier ses cours, décidant d'y rester jusqu'à la nuit, et aux environs de dix-neuf heures, de rejoindre son père afin de rentrer. La maison de Tiffany se situait sur le chemin de retour de son patriarche. Comme prévu donc, son père l'attendit quelques rues plus loin, et elle le retrouva. Ensemble, ils prirent un taxi communal qui les déposa dans leur secteur. Il leur fallut marcher afin de rejoindre leur maison. La fille n'oublia pas de prévenir son père qu'il en serait de même le lendemain.
Ils étaient donc rentrés seulement qu'eux deux, comme ils ne le faisaient plus depuis des années. Son père fut celui qui entama la conversation. Il lui relata sa journée, ses nombreuses courses, ce qu'il se passait chez ses patrons en y révélant une petite anecdote pour la détendre. Ce fut ensuite à elle de parler, quand il l'interrogea sur sa rentrée de première ; malgré sa surprise, elle parla et c'est avec joie qu'elle le regardait l'écouter. Samory avait perdu l'habitude de discuter avec ses enfants depuis belle lurette. Ce fait se raréfiait car l'homme persistait absorbé par ses petites affaires. Mais en fouillant dans sa mémoire, son enfant se souvint d'un temps révolu, pendant son enfance, où ils sortaient tous faire du sport ou aller à une fête, s'amuser sur une aire de jeu libre et sablonneuse, un temps durant lequel il leur narrait des contes. Mais depuis, le poids de ses multiples responsabilités l'avait coupé de sa famille.
Ce soir-là, Samory prodigua une importante quantité de conseils à sa fille, l'incitant à se battre dans sa vie et à ne pas se laisser entacher la dignité, lui demandant aussi de faire très attention à son entourage. Il demeurait un brave homme. Un homme qu'elle aimait, respectait et admirait, autant pour son dévouement que pour son honneur qu'il cherchait toujours à garder. Pourtant, plus le temps passait, moins sa fille le reconnaissait vraiment. Ses os transparaissaient dans ses vêtements, son visage s'amincissait de plus en plus et ses cheveux se colonisaient de points blancs. La fatigue se lisait sur ses gestes lents. Il était temps pour lui de se reposer sur le travail de ses enfants.
Quand ils rentrèrent à la maison, quelle ne fut pas la surprise d'Enedia quand ses petits frères hurlèrent « surprise ! » et que sa mère, tenant un gros gâteau au yaourt dans ses mains, s'avança vers elle pour lui souhaiter un bon anniversaire. La journée s'achevait plutôt bien.
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Ceux qui font plus de bruits que les vagues
Ficción GeneralDans un quartier marqué par la pauvreté, Enedia lutte pour surmonter les défis qui entravent son chemin. Issue d'une famille démunie, elle voit sa vie basculer lorsque sa sœur Imeka est kidnappée par un mystérieux homme aux intentions sombres. Alors...