Ceux qui font plus de bruits que les vagues

26 : Avancer pour ne pas perdre l'équilibre

Le projet d'Enedia et de Noreen avait été validé par un bon nombre de personnes du centre. Elles avaient prévu de lever les tabous et de permettre à des personnes en difficulté, majoritairement aux femmes, de témoigner sur ce qu'elles avaient vécu. Les adolescentes s'étaient donc penchées sur des vidéos YouTube et faisaient généralement des publications pour encourager quelques donateurs. Noreen s'épanouissait complètement dans ce projet et ne cessait de louer les mérites d'Enedia pour cette superbe idée. Cette dernière se grattait toujours la tête, gênée face à tant de compliments, alors qu'elle admirait Noreen depuis qu'elle la connaissait.

De rares fois, l'adolescente ressentit de l'admiration pour des personnes, comme ses parents, ou encore des personnages célèbres, mais pour un individu de son âge, jamais. Noreen représentait l'excellence dans leur école et dans son entourage. Elle exerçait un charisme qu'elle ne semblait même pas réaliser. Major de sa promotion depuis sa classe de sixième jusqu'en terminale où elle était désormais (d'ailleurs, l'on se demandait ce qu'elle faisait dans une école si pourrie qui ne dévoilait pas son potentiel au monde.), intelligente, son physique et son regard enfantin contrastaient avec une grande maturité dont elle faisait preuve. Et encore, sans s'en rendre compte. Enedia l'appréciait certes pour son travail, mais pas seulement : sa discrétion et sa modestie lui éclataient au visage à chaque fois qu'elle la croisait.

Elle avait rêvé d'être son amie. Mais tant elle se sentait nulle, apeurée à l'idée de flancher les mots et ne mal les aligner, d'être inintéressante à ses yeux, jamais elle n'avait osé l'approcher depuis qu'elle la connaissait.

Désormais, cela devenait tout bonnement possible, et travailler avec elle lui permit de découvrir une nouvelle mission de vie : elle voulait aider toutes ces femmes, ces enfants et ces hommes qui vivaient ou avait subi des atrocités dans leurs vies en développant cette association, en leur donnant la parole, en leur permettant d'avoir tout le soutien psychologique qu'ils méritent.

Enedia souriait en songeant à tout cela, lorsque Nye arriva avec sa tante au centre. Nye était d'une grande aide dans la réalisation de leurs projets. Il les aidait beaucoup sur le volet digital. « J'ai une nouvelle à t'annoncer, Ene, et je pense que ton amie Yelenn aimerait le savoir !

- Dis-moi ?

- Une jeune femme a porté plainte contre le fameux député de Marauju, Robert Anskey, pour harcèlement.

Noreen s'absenta au même moment, laissant les deux adolescents dans la pièce.

- J'espère qu'elle va gagner le procès. Mais en même temps, le plus important pour moi, c'est qu'il laisse Yelenn vivre sa nouvelle relation tranquillement. Je suis heureuse de la voir si amoureuse.

- Et toi ? demanda Nye. Tu n'aimerais pas tomber amoureuse ?

- C'est trop compliqué, l'amour. Je suis déjà tombée amoureuse de la mauvaise personne alors je n'ai pas envie de recommencer.

- Je ne peux donc pas avoir une chance ?

Enedia tilta face à cette question et leva les yeux sur Nye. Il était assis face à elle et plongeait son regard dans les siens. Doucement, il lui prit la main et l'enveloppa de ses paumes.

- Je serais incapable de te faire du mal, moi. Parce que je t'aime, j'aime ta personnalité, ta façon de me recadrer, ta sensibilité cachée, ta dévotion pour ta sœur... j'aime tout chez toi, Enedia.

La jeune fille ne put empêcher un petit sourire de s'esquisser sur son visage. Elle retira sa main puis, dans une expression maligne, lui lança un « on verra bien ».

Les résultats d'orientation furent bientôt disponibles ; Nye était retenu à l'École Polytechnique mais Enedia n'avait malheureusement pas passé le cap. Cependant, par coïncidence — ou non — elle était affectée à l'Université de Marauju, dans la même ville que l'EPN. Enedia se sentit triste de voir sa candidature refusée, mais elle compta sur les années futures pour retenter sa chance. Elle partit donc prendre des renseignements sur sa future école à son antenne de Yatu, lorsqu'elle croisa un ami de longue date.

Lorsqu'elle eut tous les renseignements nécessaires et s'engagea sur le chemin du retour, une voix familière hurlant son prénom attira son attention. Lorsqu'elle fit volte-face, elle aperçut Kobenan, vêtu d'une tenue militaire, venir à sa rencontre. Ses yeux s'agrandirent de surprise et un grand sourire s'installa sur son visage.

« Kibi ! s'exclama-t-elle. Je peux venir sauter dans tes bras ? » demanda-t-elle avant de laisser place à l'excitation en elle en sautillant sur place. Il lui fit un signe de la main pour lui dire de se contenir. Ses responsables devaient sûrement être là. Néanmoins, lorsqu'il arriva à sa hauteur, elle l'enlaça avec tendresse. Cela faisait des mois qu'elle ne l'avait pas vu et il lui avait énormément manqué !

Kobenan réussit à obtenir une permission pour passer une quinzaine de minutes avec son amie. Ils s'installèrent sur un banc protégé par un gigantesque arbre. « Enedia... J'ai l'impression que certaines choses se sont passées durant mon absence... J'ai eu écho de l'histoire de ta famille et de ce criminel. Je suis désolée de ne pas avoir été à tes côtés, tout ce temps. » Il lui prit la main et passa son pouce sur les phalanges de son amie.

Ils discutèrent de tout : de comment Imeka ainsi que toute sa famille se reconstruisait, de son succès au baccalauréat, de Tamsir et de ce qu'il avait fait à des centaines de femmes comme Maïmouna, de la famille de Kibi, de son frère rapatrié au pays et de son aventure à l'armée. « L'armée m'a beaucoup changé », confia-t-il à son amie. Cela était vrai. Kibi bombait le torse et semblait s'affirmer. Il encourageait Enedia et démontrait une réelle foi face à l'amélioration de ses conditions de vie. Son regard était plus illuminé et il était en meilleure forme. « J'ai appris à avoir confiance en la vie, ici », dit-il.

Ils avaient gardé le contact et Enedia était rentrée, soulagée d'avoir pu recroiser cet ami si important à ses yeux.