CHAPITRE XXV

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Mars 1702, Manoir de Kergueven, Comté de Cornouailles...

- La magie noire n'existe pas, Hector. Il n'existe que la magie. C'est ce que nous en faisons qui la rends noire ou blanche. C'est ce qui m'a été enseigné, et c'est ce que je te transmet.

Morven et Hector travaillaient dans la bibliothèque du manoir, une pièce gigantesque, haute d'une dizaine de mètres, les murs garnis d'étagères pleines. Au centre, se dressait un autel de granit et servait à pratiquer des rituels magique. Alors que Morven versait le sang du Demiguise, qu'il avait acheté quelques jours plus tôt, dans un récipient en argent, il plongea ses mains dedans et marmonna : "Qui vivra, verra."

Aussitôt, le visage de sa sœur Maelez se dessina dans l'écarlate visqueuse. Hector, dégouté, l'observait malgré tout. Il éprouvait, malgré ses réticences, une curiosité pour ce rituel. Le but de cette manœuvre était de voir des fragment de l'avenir grâce au pouvoir inné de la créature, bien qu'il puisse changer d'un jour à l'autre. Il ne pouvait voir la même chose que son oncle, mais ce qu'il y aperçu le fit frissonner d'horreur ! Il y vit le cadavre d'Achille, allongé par terre, dans une mare de sang. Hector eût un sursaut, et recula vivement de la vision, les larmes aux yeux. Morven ne l'avait pas vu, tout occupé qu'il était à scruter dans l'avenir. Hector tremblait de ton son être. Il avait du mal a reprendre sa respiration. Imaginer Achille mort était impensable ! Jamais il ne permettrait que qui que ce soit ne porte la main sur l'amour de sa vie. Se faisant le serment silencieux de tout faire, de tout apprendre, pour le protéger, Hector sortit marcher dans le jardin du manoir pour s'aérer l'esprit.

Il parcourut les allées gravillonnées, déchargeant sa terreur dans ses foulées, mais ça ne semblait pas passer. Ses mains tremblaient, et le bout de ses doigts crépitaient. Jamais il ne s'était senti aussi mal. Il avait les lèvres tremblantes, des sueurs lui trempaient le front et le dos. Il était à deux doigts d'exploser. Il n'avait pas vu qui ou quoi était responsable de la mort de son amant, mais il jura à mi-voix de faire payer au centuple quiconque s'en prendrait à Achille. Petit à petit, sa terreur de le perdre se transformait en une colère sourde, une rage couvée, qui éclata dans un éclair noir qui partit de ses mains, déchirant le silence et réduisant un bosquet complet en cendre. Pour la première fois depuis qu'il avait quitté l'Académie, Hector perdait son sang-froid. Cela n'était certes pas une nouveauté. Plusieurs fois il l'avait perdu lorsque Jade Lestrange l'avait eût poussé trop loin dans sa réserve de patience. Quand elle s'en était prise à Achille surtout. Mais jamais n'avait-il été témoin d'une pareille force. Au fond de lui-même, tout au fond du tréfonds de son âme, une petite voix lui murmura insidieusement que cette nouvelle source de pouvoir pourrait lui être fort utile pour l'avenir.

Alors que sa colère semblait refluer en lui, il monta dans sa chambre et pour se calmer à coup sûr, il prit son petit plan de Toulon pour savoir si Achille s'y trouvait. Par chance, il devait y être de passage. Cela rassura Hector, de savoir son amour en sécurité. Il songea, avec envie, qu'il lui rendrait bien visite pour le prendre dans ses bras. Mais Achille était très demandé pour sa musique et les temps qu'il pouvait s'accorder, à lui et à Hector étaient rares, très très rare. Malgré cela, et la renommée sans cesse croissante du jeune homme, il gardaient tous les deux pour l'autre une affection et un respect à toute épreuve. Le succès ne montait pas à la tête d'Achille, contrairement à Hector, qui, au fur et à mesure que passaient les années, sentait grandir en lui une soif de reconnaissance aussi dévorante que son ambition.

Cette ambition, guidée par l'impérieux besoin d'avoir une famille, lui donnait à la foi un point de départ, et un objectif : rendre à sa famille, les Peverell, la dignité de leur rang. Ayant complètement oublié l'espace de quelques semaines son père, Hector se plongeais corps, âme et bien dans cette quête. Au cours de ses derniers jours, il avait, auprès de son oncle, appris une partie importante de l'histoire familiale. Il descendait d'Antioche Peverell, un sorcier d'une puissance légendaire, qu'on avait prétendu avoir fabriqué une baguette plus puissante que toute les autres. Mais ces histoires n'étaient que mythes oraux. La seule trace qui restait de lui était le blason de cette branche de la famille, les deux autres étant éteintes depuis quelques générations. Pourtant, Hector avait passé des heures, des jours, et même des nuits dans la bibliothèque de Kergueven. Il voulait tout lire. Et sa vision renforça cette conviction. La réponse se trouvait sans aucun doute dans les centaines de milliers de pages de la pièce.

Lorsque Hector reparu dans la bibliothèque, son oncle n'y était plus. L'autel était vidé, nettoyé, et rien ne laissait penser que le rituel avait eu lieu. Hector promena son regard, mais il n'aperçut Morven ni au balcon, ni ailleurs. Hector décida de sa solitude pour essayer quelque chose. En redescendant, une idée lui était venue à l'esprit, mais il avait besoin de voir ce qu'elle valait. Il sortit sa baguette et la posa sur l'autel. Il la fit tourner sur elle-même et demanda à voix haute :

- Esprit, es tu là ?

Il attendit, mais rien ne lui répondit. Il réitéra sa question plus fort et un grondement sourd puis un claquement sec lui répondit. Cela venait du balcon. Hector leva la tête, et il eût la surprise de voir son oncle. Il n'était pas vêtu de sa façon habituelle. Il portait une cuirassé, des jambières, quelques plaques d'armures au bras et une cape, qui bougeait comme si elle vivait, lui protégeait le dos. A sa ceinture pendait sa baguette, mais aussi une épée. Morven souriait.

- Je ne suis pas un esprit, mais je suis là, mon garçon. Que veux tu ?

- Je me demandais si il n'existait pas quelqu'un pour nous appuyer dans nos recherches. Un esprit pour nous venir en aide. Un fantôme, ce genre de chose.

- Des fantômes ? Ici ? Même dans la crypte, je ne suis pas sûr qu'il y en ai eu un jour. En tous cas, dans les cachots, ça je peux te l'assurer. Mais le seul esprit dont nous avons besoin, mon garçon, c'est le tiens. Je suis certains que si nous attaquons ma sœur sur son sol, en toute discrétion, le Duc ne soupçonnera rien du tout et si nous la vainquons, nous aurons la paix. Es tu avec moi ?

Hector regarda son oncle. Il ne se sentait pas spécialement prêt, mais il ne pouvait pas refuser à son oncle, qui avait tant fait pour lui. Aussi, il assentit d'un hochement de tête.

- Parfait ! lança Morven. Allons t'équiper, jeune et digne descendant de nos ancêtres !

Son oncle descendit l'escalier en colimaçon qui montait au balcon et d'une bourrade, il enjoignit Hector à le suivre...

Hector Salazar : Mémoires D'un Auror Noir (Tome premier 1678-1715)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant