CHAPITRE V

32 3 8
                                    

Août 1690, 51 rue de Montmorency...

Hector se tenait à genoux sur un tabouret, jetant, de ses yeux sang et kaki, un regard attentif aux plateaux d'une balance de cuivre. Il attendit quelques secondes qu'ils s'équilibrent, puis il retira délicatement le plateau de droite, plein d'une poudre couleur cuivre, qu'il posa sur l'établi. Il enleva ensuite les poids du deuxième plateau et les rangea dans un présentoir en bois. Versant la poudre dans un mortier en pierre, il y ajouta quelques gouttes de sang de salamandre et des ongles de griffon. Se saisissant ensuite d'un pilon, il écrasa le tout pendant un certain temps. Derrière lui, le regard pétillant de Nicolas Flamel surveillait la préparation. Dans la cheminée, un chaudron en étain, rempli d'eau, attendait en bouillonnant joyeusement. Hector s'en approcha avec la pâte que formait son mélange et la dilua dedans avec une grande cuillère en bois. Sifflant et crachotant, le liquide prit une teinte bleue. L'alchimiste s'avança vers le chaudron, pris la cuillère et huma la potion.

- Bien fils, tu viens de concocter ta première solution de force. Va donc chercher un flacon, dit-il en regardant Hector avec un sourire.

Le jeune garçon se précipita vers l'atelier, s'empara d'un flacon, et l'apporta au vieillard qui le remplit d'un peu de potion. Il le boucha d'un coup de baguette magique et le tendis à Hector qui l'emporta dans le salon pour le montrer à Dame Pernelle, tout content de lui. Se dirigeant vers une étagère où s'alignaient déjà quelques mixtures aux couleurs variées, il posa sa préparation avec les autres et contempla son travail, tout sourire. À cet instant, la porte fût secouée par quatre coups puissants et rapides.

- Va vite te cacher, murmura Nicolas à Hector qui courut discrètement se dissimuler dans l'atelier.

Lorsque les Flamel furent assurés que leur protégé s'était mis hors de vue, ils se décidèrent à ouvrir. Pernelle s'approcha de la porte d'un pas mal assuré, et Nicolas, sa baguette à la main, attendait nerveusement. Lorsque la sorcière ouvrit la porte, elle poussa une exclamation de surprise :

- Oh ! Arturus ! Entrez-donc.

Ouvrant grand la porte, elle laissa entrer un homme moitié moins grand qu'elle. Il était drapé d'une grande cape brune de laquelle ne dépassaient que ses deux souliers pointus et recourbés ; son visage était caché par une barbe et une moustache rousse ; son nez, aussi crochu qu'un bec d'oiseau émergeait de cette véritable forêt et soutenait une paire de lunette carré dorée qui donnait à ses yeux bleus minuscule une taille normale.

Arturus Major, qui était le directeur de l'Académie de Magie Beauxbâtons se hâta de retirer sa cape et se laisser choir dans le premier fauteuil venu. Il semblait épuisé, comme s'il venait de traverser Paris en courant.

- Et bien, vous voilà dans un drôle d'état mon ami, commenta Pernelle en allant s'asseoir en face de lui.

- Je ne vous le fait pas dire ma chère Pernelle. Merci de me recevoir aussi promptement. Et comme je ne suis que de passage, j'irai à l'essentiel. Vous m'avez envoyé un hibou, me faisant part de votre désir d'inscrire ce jeune sorcier que vous avez recueilli, Balthazar je crois, à l'Académie. En soi, je ne suis pas contre, mais comme l'année scolaire commence demain, je me disais qu'après avoir réglé les détails de son admission, je pourrais l'emmener dès ce soir au château. Qu'en pensez-vous ?

Les époux se concertèrent du regard un instant et d'une approbation de la tête de son mari, Pernelle donna leur accord.

- Hector ? Tu peux sortir maintenant, lança Nicolas en se tournant vers l'atelier.

Prudemment, il sorti de la pièce et s'avança vers les trois adultes assis dans le salon.

- Arturus, demanda Nicolas, avez-vous une liste des fournitures, pour que Pernelle et Hector puissent aller les chercher ?

- Bien entendu, répondit le directeur en sortant de sa cape une enveloppe jaunie. Il la tendit au jeune homme, désormais face à lui. Il se figea lorsqu'il remarqua les couleurs de ses yeux. Hector pris l'enveloppe, rejoignit Pernelle qui lui faisait signe de la suivre et sortit de la maison, sous le regard médusé d'Arturus. Lorsque la porte se verrouilla, ce dernier se leva d'un bond et fixa l'alchimiste assit droit dans les yeux et bégaya :

- S-s-es yeux ! Vous a-a-avez vu ça ?

Nicolas Flamel fît mine de ne pas comprendre.

- Qu'est-ce qu'ils ont ses yeux ?

- Il a ses yeux ! Ceux des Salazar ! Bafouilla Arturus en tremblant.

- Des Salazar ? Mais voyons Arturus, vous avez sûrement rêvé. Répondit Flamel en riant pour masquer son trouble.

- Si vous avez entendu ce que l'on raconte sur cette famille, alors vous savez de quoi il retourne ! Continua Arturus qui ne semblait pas l'avoir entendu et qui tremblait de plus belle. Alexandre Salazar à lui même été victime de cette malédiction.

- Arturus, la famille Salazar n'est pas plus maudite que la mienne ou la vôtre.  Ces rumeurs n'ont aucun fondement et la signification réelle des antiques palabres de Horace l'Ancien se sont perdus depuis bien des lunes. Et de toute façon, ce garçon n'est pas plus un Salazar qu'un Flamel. Bon, nous avons des détails à régler ce me semble. Ajouta Nicolas Flamel pour détourner la conversation.

- Non. Je refuse qu'un membre supplémentaire de cette maudite famille, vive et étudie dans mon établissement, répliqua obstinément Arturus.

- Allons bon mon ami, cela n'a aucun sens. Refuser cet enfant au prétexte d'une soit disant malédiction est absurde ! S'emporta l'alchimiste. Vous me faîtes honte Arturus. Qui donc irait imaginer des choses pareilles ?

- Certes... Bougonna Arturus en se renfrognant.

Nicolas, sachant qu'il ne l'avait pas pleinement convaincu s'empressa de diriger la conversation sur le prix de la scolarité d'Hector. Ils débattirent longuement avant d'arriver à un accord. Lorsqu'ils eurent signés le parchemin, Arturus se leva et commença à faire les cents pas dans la pièce. Il s'arrêta un instant devant l'étagère où étaient exposées les potions qu'avaient concoctées Hector.

- C'est vous qui les avez préparées ? Demanda-t-il avec une pointe de curiosité mal dissimulée.

- Non, c'est Hector. Il est très doué pour ce qui est des potions. Je suis certain qu'il deviendra un membre éminent de la Ligue Française des Potionnistes. Ajouta Nicolas avec fierté.

Arturus eût un sourire et recommença à tourner en rond. Le vieil homme lui demanda s'il voulait quelque chose.

- A part retourner rapidement à l'Académie, rien, merci mon ami.

Les souliers d'Arturus furent bientôt la seule source de bruit dans toute la maison, et Nicolas pria intérieurement pour que Pernelle se rende compte qu'Hector n'avait pas camouflé ses yeux...

Hector Salazar : Mémoires D'un Auror Noir (Tome premier 1678-1715)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant