1. Voltige : plus c'est impressionnant, mieux c'est

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À une trentaine de mètres au-dessus du sol, une silhouette gracile harnachait sa ceinture aux restes de deux barreaux du conduit d'aération. D'où elle se trouvait, elle ne pouvait rien voir en contre bas. Une étendue de ténèbres s'étendait sous ses pieds. Son plongeon allait valoir le détour. En tant que voleuse « professionnelle »,elle se félicita d'avoir délibéré en faveur de l'idée la plus dangereuse.

Alors qu'elle s'apprêtait à sauter, un son la retint, discret, à peine un bruissement, quelqu'un venait de toucher le sol.

Une ombre apparut dans son champ de vision et s'infiltrait dans la salle.

Son sort d'obscurité était un petit bijou, il absorbait tout sauf les vivants. Il s'infiltrait, c'était le cas de le dire. Le sorcelier était littéralement passé à travers le mur.

Si elle rechignait à user de la magie, beaucoup trop simpliste à son goût, d'autres ne s'en privaient pas.

Elle le reconnut immédiatement à sa façon de se mouvoir et poussa un grognement intérieur. Il valait mieux ne pas se faire remarquer. Saleté de voleur Patenté, pas tenté du tout de se la péter ! S'il pensait qu'il pouvait se promener en toute liberté sur son terrain de chasse, il n'allait être pas être déçu du détour. Le maudissant pour les cinq décennies à venir, elle s'élança dans le néant.

La chute fut comme prévue : grisante, quoiqu'un peu courte, mais calculée au poils de chatrix. Très vite, elle fut sur son rival. Il ne la vit pas venir. Elle lui tomba pile dans le dos.

Son geste fut rapide, précis, à peine un battement de cils, mais suffisant. Ses doigts effleurèrent sa nuque. Cela lui fit l'effet d'un courant d'air. Le patenté frissonna, puis s'effondra sur les dalles.

Elle esquissa un sourire sadique. Très bien, il avait son compte.

Déjà, le fil d'aragne effectuait son deuxième rebond.

Elle libéra ses jambes et atterrir en souplesse sur le sol. Un geste au creux de sa gorge, et la faible lumière qu'elle portait en serre cou s'alluma.En passant devant le voleur avachit face contre terre, elle se retint de lui donner un coup de pied dans les côtes. Elle n'était pas une brute, pas à ce point.

Cela n'en restait pas pour le moins tentant, mais elle le chassa de son esprit pour se concentrer sur son objectif premier : le trésor du moment.

Trônant au centre de la pièce entouré de tout un barda inutile de babioles toutes aussi précieuses les unes que les autres, trônait la dernière acquisition d'un riche héritier. (Les accidents arrivaient si facilement sur AutreMonde, même s'il n'était pas aisé d'y mourir, mais lorsque cela arrivait, c'était...brutale). Ce nouveau riche faisait la une de tous les journaux et les femmes en étaient folles.

Bref, mais ce qui l'intéressait elle, était ce que l'on pouvait collectionner et revendre. Dans le cas présent il s'agissait d'un tableau : Blondine au sommeil d'épines. Comme l'indiquait son nom, il représentait une magnifique jeune fille aux boucles blondes endormie à sa fenêtre de pierres. Des ronces noires venant de l'extérieur l'encerclaient. Sa beauté paisible contrastait avec l'atmosphère oppressante du décor. Une rumeur courait que l'auteur aurait puisé son inspiration d'un conte terrien, allez savoir pourquoi.

Par principe elle ne volait jamais par plaisir, en fait si, mais davantage pour les sensations fortes, il faut bien l'admettre. Selon certains dires,la toile dissimulerait un indice menant tout droit à un immense trésor inestimable et accessoirement une puissante arme. Ce qui expliquait la présence du tas de chiffon dans son dos.

Elle décrocha la toile de son support à petit coup de canif, en ayant auparavant désactivé tous les systèmes de sécurité (très peu nombreux en fait, ce noble était vraiment un beau gosse, mais ne possédait pas la cervelle). Puis, l'enroula et la glissa dans la poche intérieure de sa veste. Voilà une bonne chose de faite.

Elle tourna les talons et revient sur ses pas. Elle s'apprêtait à grimper, mais un malheureux coup d'œil lui rappela qu'elle n'était pas seule. Elle ne pouvait pas délibérément laisser un corps ici, ça faisait baclé. (Ça c'était sa malheureuse bonne conscience qui parlait). Elle lava les yeux au ciel, depuis quand s'était-elle inscrite au club de la compassion.

Avec un soupir résigner, elle attrapa d'une main son fil d'aragne, de l'autre souleva le voleur patenté par la ceinture. Il n'était pas des plus légers, pas de doute, c'était bien un homme, même si masque magique flottant dissimulait son visage. Tel une brume noire aux reflets rouge, lui du front jusqu'au nez.

Il ne manquait plus que cela, il bavait sur les dalles en marbre. Pfff... Les hommes alors !

Le nœud attaché,elle débuta sa longue ascension vers le ciel étoilé. Fort heureusement, la réputation du sexe opposé était toujours d'actualité, l'un d'eux lui maintenait justement la corde de son poids mort, lui facilitant grandement la tâche.

De retour dans son étroit conduit, elle retrouva ses appuis sur les deux derniers barreaux survivant à son intrusion, et commença à remonter son fardeau. Sans grand succès, très vite elle dut capituler. Elle le hisserait une fois à l'air libre. Un changement de plan s'imposait. Elle noua les deux cordes, scia les barres de métal pour rendre le passage plus aisé et recommença à grimper. En s'aidant de la paroi pour monter, l'affaire fut vite classée.

***

À l'air libre, elle improvisa un sort :

« Par le mécanus, je veux une poulie pour sortir cet aa.brr apprentien dormi. »

Le résultat fut nettement mieux.

Par chance il passa dans le conduit sans accroche. Elle le laissa tomber au sol sans aucun ménagement. Le petit jour n'allait pas tarder à se lever. Il était temps de filer.

Dans le ciel, un rapace affamé tournoyait en cercle, surement attiré par l'homme gisant sur le toit. Avec un peu de chance il se réveillerait avant que l'oiseau ne se mette à table. Dans le cas contraire...sa minute de bonté mensuelle était largement dépassée (pour ne pas dire explosée) jusqu'à l'année prochaine.

Elle fila à l'anglaise (pour ne pas dire en comme une voleuse), avec son butin dans une course silencieuse à travers les rues étoilées de Travia. Elle devait faire vite ou Gwynfordd s'impatienterait.

Alors qu'elle entamait sa fuite, elle ne vit pas le masque du voleur patenté se dissiper peu à peu. L'homme s'assit, et leva les yeux, offrant son plus beau sourire au ciel indigo. Les deux lunes lui donnèrent un aspect fantomatique.

Il se massa la nuque.

Cette petite compliquait l'affaire. Son client n'allait pas être content du retard de son affaire.

Voltige - dans l'univers d'AutreMondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant