-Je ne suis pas fou. J'ai juste une conception bien à moi de la raison, n'est ce pas, professeur Quinzel ?
Elle n'osait même pas répondre. La pauvre psychologue, qui, face aux autres patients, semblait assurée et fière, n'arrivait décidément pas à décocher une seule syllabe face à son interne favori. Le Joker avança son buste, le détachant du fauteuil en cuir noir qui agrémentait cette pièce immaculée -drôlement propre à côté du reste de l'asile- afin de se rapprocher un petit peu plus de sa psychologue. Il la fixait. Intensément, sans un souffle. Le genre de regard impossible à soutenir, même pour la personne la plus sûre d'elle-même au monde. Un seul coup d'œil de Mister J pouvait transmettre n'importe quel sentiment transperçant et menaçant. Alors, dans un battement de cils doux, Harley baissa ses pupilles bleues, et un rire nerveux lui échappa.
N..N'est-ce pas, monsieur J...a-ah, ah...Elle n'en pouvait plus. Terrorisée, qu'elle était, la pauvre jeune femme. Face à un homme de cette envergure, un criminel aussi réputé, manipulateur et effroyablement calculateur, comment ne pas avoir peur ? Mais une once de naïveté enfantine en elle lui faisait penser qu'elle le comprenait.
Alors, après avoir passée des nuits blanches à étudier la personnalité haute en couleurs de son malade, elle s'était résignée à une seule conclusion : le Joker ne cherchait que quelqu'un pour rire avec lui. Il était un incompris, un homme que personne n'écoute, de sorte à ce que ce manque d'attention le fasse devenir un mélange du Diable et de Dyonisos. Deux hommes avides de pouvoir cherchant à renverser l'ordre établit. Tout simplement. Mais pour le moment, la pièce était calme. Silencieuse. Plus aucun des deux partis ne parlaient. Ils se taisaient.
Au bout de quelques instants à mordiller frénétiquement son stylo entre ses lèvres, sur le regard pesant du Joker, Harley Quinzel souffla : "Mais, monsieur J, je ne comprend pas. Dans quelles circonstances avez-vous exactement commit un crime, pour la...première fois ?" Cette phrase eut pour effet d'arracher un sursaut de rire au Joker. Puis un éclat. Et il partit dans une valse infernale de projections bruyantes de sa voix. Entre deux, il réussit à articuler : "Ma première fois ? Ma première fois, à moi, madame la psychologue ? Et bien, et bien..." Mister J se redressa, dans un violent saut, et sa main vint se plaquer doucement sur la cuisse de sa médecin favorite.
"Mademoiselle, et bien...justement, j'étais hospitalisé, pour je-ne-sais-plus quelle raison, et...il y avait cette infirmière là, délicieusement belle, lâcha t-il sans couper le contact visuelle avec la femme en face de lui, comme s'il parlait d'elle, vraiment, vraiment belle. Et...et puis, il se trouve que...tu sais, les hôpitaux, lorsqu'on y est trop longtemps, on peut rapidement devenir fou. Et bien, je n'arrivais pas à réprimer mes..mes besoins sexuels, tu..tu vois, docteur ? Et..et mon infirmière, elle, elle ne voulait pas m'aider. Sa beauté m'enivrait, je..je bandais rien qu'en entendant le son de sa voix. Juste...juste une gâterie, que je lui disais. Mais elle fronçait les sourcils, et se mordait la lèvre, comme..comme toutes les femmes. Elle ne voulait rien entendre. Alors il a bien fallut que je la force, non...? Ce n'était rien, je savais qu'au fond, elle le voulait, alors je..je l'ai forcé. Mais je sais qu'elle a aimé, j'en suis sûr, elle a a-do-ré ! Puis...puis, après, malheureusement, une fois l'acte commit, il fallait camoufler les preuves. Elle allait...elle allait tout répeter aux autres infirmières, qui étaient vachement mignonnes...Alors, pour qu'elle se taise,je lui ai simplement injecté une grosse, une grosse dose de morphine. Elle dort désormais pour toujours...!"
Ce monologue morbide était ponctué de petits rires, et de nombreux tics de Mister J : notamment celui d'humecter, puis de mordre sa lèvre inférieure tandis que l'étreinte de sa main frêle pressait par légers coups la cuisse d'Harley Quinzel, qui était devenue pivoine, puis qui avait tournée au blanc, sous la peur. Elle sentait une terrible allusion visée peser sur elle. Peut-être cela voulait signifier que son patient demandait une sorte de..."gâterie" comme il l'avait si bien dit. Mais était-elle prête à faire ce genre de choses avec lui ? Elle était dans le cadre de son métier, la pauvre psychologue, mais sa vie était en danger. Alors elle avala difficilement sa salive, et lâcha une nouvelle fois un drôle de rire, une sorte de gloussement nerveux.
-Monsieur J, je ne sais pas si c'est vraiment judicieux de...
-Vous dîtes, mademoiselle ? Je n'ai fait aucune allusion. Cependant, je vous trouverais plus professionnelle avec un grand sourire, sur le visage...
-Mais, si je me coupe le visage, vous ne me trouverez plus jolie...?
-Chère Harley...t'ais-je déjà dit une seule fois que je te trouvais jolie ? Et puis, pourquoi voudrais-tu rester banale, et normale, comme n'importe quelle fille sur cette planète ? C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fou, mademoiselle, alors pourquoi ne pas pimenter légèrement sa petite vie ? Toi, comme toutes les femmes, vous cherchez la perfection physique ; mais l'imperfection est beauté, la folie est génie, et il vaut mieux être totalement ridicule que totalement ennuyeux.
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Le bruit du silence
RastgeleUne enveloppe, un timbre, un peu de salive. Une petite aventure entre un blagueur et un coincé du cul.