Chapitre 15

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Je ne savais même plus si j'avais les yeux ouverts ou fermés. Allongée sur un lit de fortune, les genoux repliés contre la poitrine, je tentais de réfléchir. Je ne savais pas depuis combien de temps j'étais là, dans ces 6m² de nuit éternelle. J'étais tellement faible que je ne pouvais même plus penser correctement. Enfermée physiquement et mentalement.

La seule chose que je savais était que j'avais faim. Et soif. L'odeur de renfermé me soulevait le cœur. Je ne connaissais que trop bien cet endroit. C'était une cellule d'isolement. Mais jamais je n'y étais restée si longtemps. Et jamais dans un noir si profond qu'il me faisait perdre la notion du temps.

Quand mon père m'y avait jetée au moment où nous mettions les pieds dans un nouveau bâtiment de WICKED, je ne m'étais pas débattue. Ça n'aurait servi à rien de toute façon. J'avais essayé de compter les heures puis les jours mais le noir et les repas à des heures aléatoires m'avaient rapidement perdue.

Dans cette cellule, j'avais eu le temps de revoir mourir plus d'une centaine de fois mes amis et d'imaginer ceux toujours en vie les rejoindre de la pire des façons.

Je devais me forcer à manger quand je le pouvais. Je devais retenir mes hauts-le-cœur pour ingurgiter cette bouillie répugnante. Je devais le faire pour rester vivante.

Vivante. Ce terme n'était pas le bon. Je ne me sentais pas vivante. J'étais à peine en vie. De toutes mes années d'existence, les seules fois où je m'étais sentie vivante étaient celles auprès de ma mère ou de mes amis. Mais la première m'avait été enlevée et j'avais trahis les seconds, par pure lâcheté. Dans ma petite cellule, les seuls moments où j'effleurais la paix étaient ceux où les souvenirs de ces moments heureux se jouaient sous mes paupières. Malheureusement, ils étaient toujours coupés par d'autres qui me tordaient le ventre et le cœur.

Je ne savais même plus si je voulais sortir de cet endroit. Peut-être que c'était ce que je méritais, après tout. Peut-être que c'était ma punition. Non, c'était réellement ma punition. Celle que mon père m'avait donné. C'était lui qui m'avait enfermé ici avec mes souvenirs. Mais peut-être que c'était aussi la punition de l'univers pour mes actions. Peut-être que ce dieu auquel je ne croyais pas existait vraiment. Peut-être que cette catastrophe, que ce virus, n'étaient qu'une punition pour tous les mauvais actes réalisés par les humains au cours des siècles. Peut-être qu'alors WICKED était bon ? Peut-être que c'était pour cela que les rebelles avaient été détruits et qu'il n'arrivait jamais rien ou presque aux scientifiques ou soldats comme Ava et mon père. Peut-être qu'en fait, depuis tout ce temps, je me battais contre les mauvaises personnes. Peut-être qu'ils avaient raison. Peut-être que Térésa avait raison.

Non. Non, non, non. Stop. Arrête de penser ça. Arrête. Ils ne sont pas de bonnes personnes. Ils ne tortureraient pas des gens si c'était le cas.
Mais si c'était le cas ? Si ils étaient les bonnes personnes ?
Non. Arrête. Minho et les autres ne sont pas de mauvaises personnes. WICKED, si.
Et qu'est-ce qui te le garantit ?
Moi. Mon choix. Je suis une mauvaise personne. Et je suis retournée à WICKED. Donc les méchants sont forcément à WICKED.
Mais pourquoi tes amis ne seraient-ils pas les mauvaises personnes ? Pourquoi serais-tu une mauvaise personne ?
Parce que je les ai abandonnés ! Parce que leur seule envie est d'être libres et heureux et qu'on leur retire ça !
Mais si ils étaient des bonnes personnes, pourquoi ne souhaiteraient-ils pas aider WICKED à trouver un vaccin pour sauver le monde ?
Parce que... Parce qu'ils souffrent pour cela. Parce que WICKED n'est pas bon... Parce que...
Parce que ?
Tais-toi ! Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! Arrête. Ce sont de bonnes personnes ! Les meilleures que je n'ai jamais rencontrées. Les plus gentilles, les plus courageuses... Ils m'ont donné leur confiance alors que je n'étais qu'une scientifique en blouse blanche. Ils ne peuvent pas être mauvais... Arrête... Je suis la mauvaise personne... Alors, tais-toi... Laisse-moi tranquille... Pitié...

Je pris ma tête entre mes mains en pleurant. Pourquoi ? Pourquoi mon propre cerveau me maltraitait-il de la sorte ? Je devais le faire taire. Je devais sortir de cette pièce pour me rappeler à quel point WICKED était mauvais. Me rappeler combien ils maltraitaient des enfants. Me rappeler qu'ils n'étaient pas et ne serait jamais les gentils.

La voix de Mary résonna dans mon crâne. « Je travaillais pour WICKED en tant que docteur il y a une dizaine d'années avant de fuir ». Elle avait fui. Si elle avait fui, c'était pour une raison, non ? Elle avait sauvé Brenda d'une mort certaine, elle devait donc être quelqu'un de bien, non ? Si elle ne faisait pas partie des gentils, elle l'aurait laissé être tuée. Mary était quelqu'un de bien. Et si elle était amie avec ma mère, cela signifiait que ma mère était aussi quelqu'un de bien.

Ma mère. Je n'avais plus que des souvenirs flous d'elle. Un força le passage et se dessina peu à peu. Quelques jours avant sa mort, je m'étais faufilée dans sa chambre d'hôpital malgré les nombreuses interdictions. Elle me manquait terriblement. Quand je l'avais vu, si faible dans ses draps blancs, je lui avais très doucement pris la main, par peur de la briser. Elle ne m'avait pas réprimandé. Elle m'avait seulement souri. Puis elle m'avait fait promettre une chose. Suivre mon cœur. Elle m'avait dit que cela me permettrait de faire ce qui me semblait juste. De rester forte. De me battre pour mon propre bonheur. Elle m'avait affirmé que suivre mon cœur me rendrait bien plus forte, bien plus heureuse, que de suivre ma peur ou mon cerveau. J'avais promis. Et j'avais oublié cette promesse. J'avais oublié mon cœur. Mon cerveau et mon angoisse avaient pris trop de place et j'avais peu à peu fait disparaître mes envies qui ne m'aurait apportée que plus de punitions si je les avais suivies. Et mon cœur avait fini par devenir aussi muet que moi.

Il s'était réveillé à mon premier mot après des mois de silence. Et j'avais décidé de le suivre. De suivre ces personnes qui comptaient tellement pour moi. J'avais alors vécu ma semaine la plus heureuse malgré les difficultés rencontrées. Malgré la mort qui nous attendait à chaque tournant. J'avais redécouvert la vie. Avant d'abdiquer devant la mort qui m'avait fait face et de me faire de nouveau envahir par la peur. Mais je ne voulais plus ça. Peu importe que ce soit égoïste, peu importe que le monde s'écroule. Je voulais être heureuse. Je voulais mon bonheur et celui de ceux qui y participaient.

J'allais sortir d'ici et sauver ceux que j'aimais. J'allais arrêter d'être lâche. J'allais suivre mon cœur.

WICKED is good....Où les histoires vivent. Découvrez maintenant