15. Kassyen

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Elle avait arrêté la pluie.

Aussi simplement que si elle avait arraché une fleur de la terre, elle avait demandé à ce que le ciel arrête de pleurer, et le ciel lui avait obéit. Les nuages étaient toujours présents, et les averses revenaient de temps en temps, mais elle avait calmé l'orage assez souvent et assez longtemps pour qu'ils atteignent Ragye en une semaine et demie.

Et Kassyen n'arrivait pas à oublier cela.

Chaque fois que Zari utilisait son pouvoir, elle repoussait les limites qu'elle avait établi la veille. L'idée que sa connexion avec l'Orah n'ait aucune limite lui effleurait l'esprit de plus en plus souvent, sans qu'il n'ose la formuler devant elle. Cela lui redonnait espoir. Car si elle était capable de faire tout cela, comment pourrait-elle perdre face aux Zerreghiens ?

Ils se trouvaient à la bordure de la ville, bien loin du palais, là où les maisons étaient délabrées et les gens d'une maigreur maladive. Pour une fois, Hefi n'arborait pas son éternel chignon. Elle avait détaché ses cheveux, qui lui tombaient sur les joues pour cacher un minimum son visage. Assise sur une chaise en bois, elle faisait face à un couple d'une cinquantaine d'années. Cinq minutes s'étaient écoulées depuis qu'ils étaient arrivés, et ils n'avaient pas dit un mot. Ils s'étaient contentés de les laisser entrer, de s'asseoir, puis de fixer leur fille.

— Maman ? chuchota Aron en levant la tête vers Esta. Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Tout va bien, mon cœur, répondit-elle en passant ses doigts sur la tempe de son fils.

Le silence retomba, pesant et inquiétant. La mère d'Hefi la regardait avec une colère froide, qui semblait vieille de plusieurs années. Son père semblait plus triste, seulement fatigué.

— Vous n'allez vraiment rien dire ? souffla Hefi d'une voix aigre.

— Que veux-tu que nous te disions ? répliqua sa mère avec hargne. Je ne comprends même pas comment tu peux oser revenir ici après ce que tu as fait. Après le déshonneur que tu nous as apporté !

— Gina... souffla son père.

— Après tout ce que nous t'avons donné, c'est comme ça que tu nous remercies !? s'écria-t-elle en ignorant son mari.

L'ancienne Ravgen baissa la tête. Kassyen crut un instant que c'était parce qu'elle avait honte, puis son rire sardonique retentit. Sans cesser de sourire, Hefi affronta de nouveau le regard de sa mère.

— Tout ce que vous m'avez donné ? Vous ne m'avez rien donné. Vous nous avez envoyés à l'armée quand on avait cinq ans. Tu sais combien d'enfants survivent à la première année d'entraînement, ama ? Dix pour cent. Et combien de Ravgen vivent assez longtemps pour atteindre votre âge ? C'est deux fois moins. Tu n'arriveras pas à me faire culpabiliser. De toutes les personnes que j'ai abandonné en désertant, vous êtes bien les seuls qui ne m'ont pas manqué.

Gina Asami resta bouche bée. Elle toisa sa fille avec un mélange de choc et de rage, comme si elle ne s'attendait pas à ce qu'elle ose la braver. Quant au père, sa tristesse n'avait fait qu'augmenter.

— Pourquoi es-tu partie ? demanda-t-il sur un ton désespéré.

Hefi se détendit et poussa un soupir.

— J'avais mes raisons. Je vous les partagerais si elles n'impliquaient pas d'autres personnes dont la vie serait en danger si vous décidiez d'en parler.

— Nous garderons ça pour nous, Hefi. Je te le promets.

— Je ne suis pas inquiète par rapport à toi, apa. C'est plutôt elle le problème, fit-elle avec un regard assassin pour sa mère.

The Assassins - T3. Le limbe d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant