Par les liens du parchemin

9 : Apprenti sous déception

Mathieu était retourné dans la bibliothèque des Prétendants après être passé par le bureau de la comtesse Dacourt, avec l'orgueil de l'adolescent qui pense avoir réussi son épreuve de la manière la plus audacieuse et improbable possible. Viviane était sur son épaule, et sans ses ailes, la nymphette ressemblait à une femme miniature. On aurait encore pu deviner sa nature profonde si la petite créature avait gardé sa lumière. Mais elle l'avait perdu un siècle plus tôt, en prononçant le Serment noir contre son gré, sous la contrainte des ordres des Estaffes.

Le Prétendant l'avait caché à ses amis au cours des derniers jours, craignant un peu leurs reproches au moment où ils apprendraient qu'il avait fait retirer les ailes d'une nymphette (avec l'autorisation de celle-ci et la compréhension du docteur Soupont qui avait craint que laisser à la petite fée ses ailes atrophiées ne risquerait que d'aggraver son état catatonique tour de même !).

Il ne s'était pas douté que la réaction de ses amis serait pire que prévue, mais pas à cause des raisons qu'il s'était imaginé.

— Je pense que je vais aller dormir ailleurs, murmura Jurençon avec un air à la fois désolé et interrogatif.

— Mathieu, je doute que lorsque cette nymphette retrouvera de l'énergie, elle ne s'attaquera pas à nous, tenta d'expliquer Pierre. Je veux dire, ce n'est pas juste une nymphette, c'était celle d'un Estaffes.

— J'avais toujours cru que tu étais l'allié des nymphettes, s'étonna Roméo. Tu lui as enlevé les ailes toi-même ?

Mathieu se sentit particulièrement contrarié. D'une part, il aurait dû envisager que le lien entre la nymphette et les Estaffes pose problème, particulièrement à Jurençon. La fratrie Estaffes avait fait venir ces nymphettes de l'île des Hélios, elles étaient certainement partisanes de la mort de tout traître dans la vision de ceux de l'île, particulièrement les demi-Hélios.

D'autre part, l'autre élément de frustration du Prétendant, c'était de voir que Roméo avait été le seul à avoir une réaction imprévisible parmi ses amis. Il aurait cru que son camarade se plaindrait faussement de le voir devenir Apprenti en même temps que lui.

Les explications que Mathieu donnent ne convainquirent pas vraiment les deux blonds du groupe. Il ne recevait que des hochements de tête et la promesse de ne pas faire de mal à Viviane. Après quelques demandes de plus, Pierre consentit à laisser Ophélie aider sa camarade nymphette, maintenant que celle-ci était clouée à la terre ferme. Ce n'était pas un luxe, puisque Mathieu savait qu'il ne pourrait pas en permanence s'occuper de sa nymphette personnelle. Il rédigea un courrier explicatif à sa mère, en lui demandant si elle acceptait d'envoyer quelques nymphettes du manoir à l'Élite pour qu'elles épaulent Viviane. Il n'osa pas demander s'il pouvait envoyer la petite nymphette au manoir, en songeant qu'il en demanderait peut-être trop, surtout à Juliette d'Argent. Sa sœur qui ne l'était pas avait gardé quelques cicatrices sur les épaules et les bras des ailes des nymphettes noires, lors de l'attaque contre le manoir Hidalf. Même si Viviane était alors dans une cage de l'école de l'Élite à cette époque, Mathieu ne tenait pas à raviver un souvenir difficile.

Juliette d'Airain considéra la nymphette en fronçant les sourcils, leur donnant une forme d'accents circonflexes, avant d'estimer la petite fée sans ailes comme un nouveau défi. Elle réfléchissait déjà à la manière dont elle pourrait sortir Viviane de son mutisme, et Mathieu fut soulagé par sa réaction, alors qu'elle acceptait de prendre en charge la nymphette pour quelques temps.

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Mathieu avait assisté à la cérémonie des Apprentis lorsque Pierre avait atteint ce grade, puis une deuxième fois lorsque Jurençon s'était rendu digne de ce rang à son tour, en seulement six mois. Ses deux amis avaient été solennels et raides au moment de recevoir leurs épées, et Mathieu avait à l'époque pensé qu'il n'y avait pas de raisons de paraître si nerveux.