13 : Deuil tardif

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Louis Serra pensait qu'en vingt ans d'existence dans l'école de l'Élite, il avait tout vu. Aussi bien les Apprentis amoureux qui se faisaient attraper en plein rendez-vous avec une demoiselle dans l'école, que les Prétendants qui se faisaient des combats d'arbre doré improvisés et sans la moindre expérience (et sur les bords des toits, comme si ce qu'ils faisaient n'était pas assez dangereux en soit !). Il avait même fait face à une scène qui aurait pu lui arriver, en allant aux écuries, dans le grenier où était entreposé le foin. La désagréable surprise d'entendre des bruits suspects ne l'avait pas incité à vérifier ce qu'il en était, mais il avait attendu que les deux amoureux sortent du grenier pour les sermonner vertement et leur retirer une branche de leur arbre doré.

Mais quand il était question de Mathieu Hidalf, ou de ses amis, l'ancien capitaine de l'Élite oubliait d'envisager qu'il pouvait faire face à pire que ce qu'il avait connu.

Ce qui devait sans doute expliquer pourquoi Roméo Pompous était occupé à faire du ballet sous l'Arbre doré en récitant un poème particulièrement odieux.

Louis le regardait faire depuis plusieurs en attendant de voir si un autre que lui aurait le courage ou la décence d'interrompre ce spectacle lamentable. Il pensa trouver un moment la force de se charger de cette affaire lui-même, avant de s'arrêter après deux pas.

— Certains jours, je me dis que nous aurions pu laisser quelques élèves dans le labyrinthe des Bannis, soupira le Cœur noir.

— J'ose espérer que tu n'envisages pas sérieusement l'idée, intervint la comtesse Dacourt en s'approchant pour observer la scène.

Louis aurait pu sursauter s'il n'avait pas été habitué à ce qu'Armance apparaisse derrière lui sans être remarqué. Il la soupçonnait d'ailleurs de connaître l'existence de passages secrets dont même lui n'était pas au courant. Son attention fut à nouveau détournée, cette fois par Roméo Pompous qui faisait un jeté élégant certes, mais parfaitement incongru.

— Est-ce que des Pré-Élitiens ont versé un alcool fort dans les verres des Apprentis ? demanda Louis en soupirant.

— Pas que je sache. Ma cousine Anna m'avait dit qu'aujourd'hui se déroulait la représentation du Fleuve des Hélios. Comme son fils a suivi des leçons de danse pendant des années, je soupçonne ma parente, et surtout M. Pompous, de l'avoir habitué à reproduire quelques ballets pour pouvoir s'en vanter auprès d'autres membres de la noblesse. Et si ta mémoire est bonne, le Fleuve des Hélios ne parle pas que d'amour...

Louis haussa un sourcil en cherchant dans sa mémoire à quoi Armance pouvait se référer, avant de se rappeler très clairement que c'était à ce ballet qu'ils s'étaient rencontrés.

Naturellement, Louis n'était pas venu à un ballet de lui-même, il y avait été trainé de force par la direction de l'Élite, sous prétexte qu'il fallait qu'il puisse avoir accès aux « arts de la noblesse » puisqu'il n'avait jamais eu la « chance » de voir de quoi il s'agissait.

Il se rappelait très clairement d'avoir écouté pendant quatre heures des paroles portées sur les devoirs et les pièges du mariage, ainsi que des désirs charnels, et avait tenté de s'éclipser pour s'enfuir de cet enfer. C'était en allant vers les coulisses qu'il avait aperçu Armance, assise sur un siège, qui semblait lutter pour ne pas bailler d'ennui. Leurs regards s'étaient croisés, et l'Apprenti s'était senti rougir face au sourire presque moqueur de la belle adolescente. Louis était rapidement retourné à sa chaise en essayant de paraître distingué malgré son envie de se retourner sans cesse pour voir quelle demoiselle osait ainsi se moquer discrètement d'un membre de l'Élite.

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