16 : Enterrer le passé

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Bien évidemment, l'absence de l'acte de décès de Vincent Dacourt, bébé mort-né, avait causé une certaine angoisse chez Armance. Louis l'avait vu retourner chaque jour durant un mois à la maternité où elle avait accouché, et l'avait empêché de faire un acte qu'elle regretterait en forçant la salle des archives au cours d'une nuit. Après tout, d'autres femmes qu'elle avaient également perdu leur bébé à la naissance, et avaient pu en adopter dans le plus grand secret.

Armance s'était résignée face à cet argument. Elle qui avait gardé la plus grande confidentialité au sujet du drame qui l'avait le plus marqué ne pouvait faire subir à d'autres la violence de la peur qu'elle avait elle-même eu à ce qu'on apprenne la vérité à son sujet.

Après un mois, le document était resté introuvable, et les membres de la maternité s'étaient platement excusés pour la situation. Il y avait une réserve à en parler, puisque cela mettait à mal la qualité des lieux, qui avait une haute réputation aussi bien auprès du peuple que de la basse noblesse.

La comtesse avait lâché prise, et organisé une petite cérémonie d'enterrement, à la fois terriblement minable, solitaire et douloureuse. N'étaient présents que les quelques personnes qui connaissaient la vérité, à savoir Armance, ses parents, le comte Dacourt et Louis.

La situation était un peu gênante puisqu'Armance n'avait pas averti ses parents de la connaissance de Louis sur leur bébé, et qu'après tout, Jacques Dacourt avait divorcé d'Armance depuis un bon moment déjà. Louis s'était rappelé à cette occasion qu'Armance était redevenue la comtesse Boidoré, même si personne encore n'avait vraiment le réflexe d'utiliser ce nom.

L'ancien Capitaine de l'Élite avait vu passer bien des enterrements d'autres Élitiens ou de Cœurs Noirs qui avaient été ses amis, des collègues ou même de simples connaissances. Il n'avait versé aucune larme durant ces évènements, malgré le poids de la culpabilité de ne pas avoir fait mieux pour protéger l'école. Il se rassurait alors à l'époque en se disant que mieux valait une vie perdue que l'Élite elle-même.

Voir un petit cercueil en bois, avec dedans un simple document attestant de la naissance du bébé d'Armance Dacourt, sans même donner le nom du bébé, avait été d'une violence dont il ne se serait pas douté. Les larmes avaient coulé sur ses joues sans qu'il puisse les empêcher de se multiplier les unes après les autres.

À quelques pas de lui, Armance se tient droite, digne, mais ses yeux rougis dévoilent qu'elle a déjà dû verser toutes les larmes qu'elle avait au cours de la nuit.

C'est Jacques qui se rapproche pour le réconforter, si bien que le Cœur Noir se demande comment il a pu être jaloux de quelqu'un de si aimable pendant plus d'une décennie. L'ancien époux d'Armance a le tact de Julius et les mots sincères de Robin, lorsqu'il explique à Louis qu'il peut pleurer autant qu'il s'en sent le besoin, et que c'est même la meilleure occasion pour le faire, parce que s'il ne le fait pas pour cet instant symbolique, il ne se le pardonnera jamais.

Pendant un moment, Louis pense défaillir, et il se sent très soulagé que Javotte soit près de son épaule pour lui parler et le garder conscient de ce qui se déroule sous ses yeux. Il entend plus qu'il ne voit la mise en terre du minuscule cercueil, et sa vision ne revient que lorsqu'il doit jeter un peu de terre au fond du trou.

Une petite stèle, préparée quelques semaines plus tôt, grave le nom de Vincent Boidoré. Sans doute parce que cet enfant n'aurait ni été celui de Jacques, ni que Louis n'aurait su qu'il était le sien.

Il se jure que c'est mieux ainsi.

Et puis, le retour à l'Élite lui fait une violente claque.

Après que Juliette d'Airain ait fait modifié la constitution des Élitiens pour que les jeunes filles puissent intégrer l'école, la règle de limite d'âge des élèves avait également été dissoute. Si bien que certains Prétendants n'ont que huit ou neuf ans, et des sourires enfantins qui ne font que rappeler à Louis à quel point son fils ne grandira jamais pour faire de telles expressions.

Par les liens du parcheminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant