Chapitre 2

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— Il paraît que tu as convoqué Mathieu ?

— D'habitude, tu me salues lorsque tu viens dans mon bureau, rétorqua Armance sans répondre à sa question.

Louis paraissait en meilleure forme que la dernière fois qu'elle l'avait vu. Ses cheveux étaient un peu plus longs et grisonnaient encore, mais à part ça, il semblait plus jeune. Comme si partir loin de l'Élite lui avait ôté le poids qui avait toujours trop pesé sur ses épaules.

Il s'approcha d'elle et la regarda avec une chaleur certaine, lui montrant sans le dire qu'il était heureux de la revoir.

— Bonjour Armance.

— Bonjour Louis.

Si les circonstances avaient été légèrement différentes, Armance aurait posé sa tête contre l'épaule de l'homme, pour qu'il l'entoure de ses bras. À la place, elle l'invita à s'asseoir face à elle.

— Tu sembles tracassée... c'est à cause de l'article sur Mathieu ? demanda Louis.

— Tu es donc au courant, soupira la comtesse. Oui, c'est... déstabilisant.

Ils échangèrent un regard lourd de sens.

Armance avait gardé pendant des années le secret de son unique grossesse. De leur enfant, porté en secret. Mais elle avait brisé le silence à ce sujet avant le départ de Louis. À moins qu'il n'ait fuit à cause de ça, qui sait ?

Elle lui avait tout raconté. Ses parents, furieux, mais qui avaient accepté qu'elle aille au terme de sa grossesse. Le comte Dacourt, tres surpris de découvrir sa fiancée enceinte d'un autre, mais qui avait promis d'accueillir l'enfant comme le sien. L'isolement pendant les deux derniers mois, pour que personne ne voit son ventre d'arrondir toujours plus. L'accouchement, effrayant et terrible... mais rien n'avait été moins dur que de constater que son bébé ne criait pas, lorsqu'il était sorti de son ventre. Il était bleuté. Les sages-femmes avaient essayées de le ranimer, mais rien n'y avait fait.

Armance n'avait même pas pu le garder contre elle tant que son petit cœur battait. La superstition voulait que cela porte malheur pour les prochaines grossesses de garder un enfant mort-né contre soit.

Tout s'était enchaîné. On avait emporté son bébé loin d'elle et son fiancé et ses parents étaient venus la réconforter du mieux que possible.

D'ailleurs, le comte Dacourt avait été d'une extrême prévenance ensuite. Ils n'avaient consommés leur mariage qu'une fois, et leur absence d'enfant avait un peu soulagé le cœur d'Armance. Elle aurait difficilement accepté de porter de nouveaux enfants, sans craindre de projeter son premier né sur de nouveaux bébés. De vouloir les voir comme les enfants de Louis, alors qu'il n'en n'aurait rien été.

Quand Louis avait appris la vérité, il était resté blême. Il avait avoué à voix basse qu'il se sentait trahi de ne pas l'avoir su plus tôt, mais qu'il avait surtout honte de lui-même d'éprouver un tel sentiment, alors qu'Armance avait besoin de réconfort. Il le lui avait donné, était resté à ses côtés toute la nuit, à réfléchir sur ce passé et ce futur de leur enfant qui n'avait pas existé.

Il aurait eu les yeux verts d'Armance, les boucles noires de Louis, sa grande taille aussi, et le nez léger de la comtesse. Il aurait eu le tempérament et le sérieux d'Armance, avec le talent de Louis dans tous les domaines de l'Élite. Il aurait été trop téméraire pour son bien, et en même temps d'une loyauté sans faille à l'école, ne trahissant jamais le moindre camarade, même pas pour une branche dorée de plus. Il aurait été noble, juste et bon.

Louis était parti une semaine plus tard, sans trop d'explications. Armance n'en n'avait pas cherché, se doutant que l'ancien Élitien n'aurait pas su lui en donner. Il avait besoin de distance et de temps, après vingt ans à se battre pour l'école et contre les Estaffes, sans se permettre de penser à soi, ou de vraiment penser aux autres.

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