Chapitre 24 : J-1

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J-1


Sous un ciel nocturne et dégagé, accroupie derrière le buisson d'hortensia de la tante de Sancha, je savoure ma deuxième cigarette de la journée. Un chien aboie, une chouette hulule, et moi je crache ma fumée comme si j'essayais d'expulser mes scrupules... Et étonnement, ça semble fonctionner.

Ce petit moment de solitude à la faveur du froid et de la nuit m'ancre dans la résolution de garder mes secrets. Cachée dans le jardin, j'enferme en moi même des souvenirs coupables qui me rattachent à ma féminité retrouvée.

Ne dit-on pas que les femmes sont pleines de mystères et qu'elles ont toutes un jardin secret ? Je crois que je commence à comprendre et à m'identifier à cette idée.

Une fois fini, j'enterre mon mégot et avec lui, tout sentiment de regret. Je ne regarde pas les étoiles, qui pour une obscure raison me font penser à Giorno. Les yeux rivés sur le sol, j'entends bien garder les pieds sur terre.

Demain je serais mariée à Angelo.

Mais pour l'heure, il faut que je trouve le moyen d'aller me laver les dents sans croiser mon fiancé.

Depuis hier, il ne m'a pas lâché d'une semelle, me couvrant de câlins et d'adorables attentions pour se faire pardonner son absence. Et moi, pour me faire pardonner la faute qu'il ignore, j'ai donné le change : l'embrassant et le serrant dans mes bras comme la plus douce des futures mariées.

Dieu m'en soit témoin, je n'ai même pas eu à me forcer. Sa présence me rassure et éveille à mes sens une réelle tendresse. Je sais qu'il est l'homme qu'il me faut. L'aimer n'a rien de violent ou de palpitant. Mais je me suis habituée à lui comme à un baume qui apaise les brûlures de la passion.

Il ne contrôlera jamais la symphonie de mon cœur, n'instillera jamais de poussière d'étoile dans mon âme et ne me fera jamais m'évanouir d'extase, mais il n'aura pas non plus le pouvoir de me faire souffrir, et il sera un mari respectable. Comme Sancha et Benito, il sera un des piliers de ma quiétude. Le garant d'une joie mesurée et d'un équilibre retrouvé. Car c'est tout ce que je souhaite : une vie droite, quitte à ce qu'elle soit prévisible et peut-être un peu ennuyeuse.

Et en contrepartie, je promets d'être pour lui une bonne épouse, dont la seule faute sera peut-être de se griller en cachette une ou deux cigarettes...

Tout le reste appartient au passé.

***

La convivialité du dîner me donne un avant goût du bonheur simple auquel j'aspire.

Si hier j'étais encore trop imprégnée de mes frasques adultères pour manger avec appétit, ce soir, je dévore le riz parfumé et le délicieux rougail de poisson préparé par la tante Délicia.

- Rappelez-moi l'heure de la cérémonie de demain. Je ne voudrais pas être en retard ! nous demande la brave femme avec son fort accent des îles.

- Nous retrouvons le père Pucci à l'église pour 10h, vous pouvez vous joindre à nous, mais la cérémonie n'aura lieu qu'à partir de 11h, lui répond Angelo dans une posture guindée, avant de recueillir sur sa fourchette un minuscule bout de poisson, noyé sous une quantité astronomique de riz.

Il n'y a sans doute que moi pour remarquer la petite goûte de sueur qui roule sur sa tempe et vient se perdre dans la blondeur de son favori. Je sais qu'il a beaucoup de mal avec la nourriture épicée, mais par correction, il se force à faire honneur au plat de notre hôte.

Pour l'encourager, je plonge une main sous la nappe et flatte sa cuisse d'une petite caresse. Ses yeux d'un bleu presque céleste rencontrent les miens et il n'est besoin d'aucune parole pour qu'il me renvoie la douceur de mon geste. Il se penche sur moi et dépose un furtif baiser à l'angle de ma pommette.

Enseigne moi la patience - Yandere GiornoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant