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La nuit avait été longue, entre l'élaboration d'un plan, mon envie de me terrer dans un trou par crainte d'être découvert par celui qui m'a appris tout ce que je sais, les simulations de ma fuite qui échouaient toutes, les souvenirs douloureux qui me perforaient le cœur et mes incertitudes sur les choix que j'avais fait qui me donnaient mal à la tête, je n'en pouvais plus.
Celui qui dit que la nuit porte conseil est un grand enfant qui vit encore dans le monde des bisounours. Moi, pendant la nuit, mes démons m'envahissent alors les conseils ou plutôt les mots emplis de reproches que mon subconscient fait parvenir à mes oreilles toutes les nuits, ne m'aident pas vraiment à trouver des solutions à mes problèmes.

À l'aube, mes yeux sont encore ouverts, à fixer ce plafond blanc. Je ressent la fatigue dans tout mon corps mais ce n'est pas le plus important. Il y avait des incohérences dans cette histoire, trop de zones d'ombres me barraient la route. La veille, ma curiosité avait été piquée au vif. Je me devais de savoir pourquoi mon géniteur était recherché par cette femme. Quel lien y avait-il entre son frère et mon père? Et pourquoi me demander à moi où il était? Je m'étais fait à l'idée que je n'avais pas de père, enfin c'est ce que je croyais et maintenant, il revenait. À chaque fois que je pense faire un pas en avant, je me rend compte bien trop tard que j'en ai fait trois en arrière. Quel con! Comment le fait qu'elle connaisse mon nom ne m'a pas mis la puce à l'oreille plus tôt? C'était pourtant évident. Mais je n'ai rien vu. Après tout, j'étais bien trop occupé à essayer de me sauver sans pour autant attirer l'attention pour me préoccupé de quelques détails.

_Quelques détails...

Je me lève finalement avant que cette infirmière ne me surprenne sur le fait, enfile des vêtements trouvés dans un tiroir, et essaye de trouver la sortie. J'ai besoin d'air. Depuis que je suis ici, j'ai l'impression d'être enfermé comme un oiseau en cage, comme avant...

Stop! Il n'est plus question de rouvrir les plaies du passé, je dois à présent préserver ce qu'il me reste de vie. Ce petit bout de moi tant meurtri par les épreuves. Je dois le garder, je m'en fais la promesse.
Les promesses... j'en avais fait beaucoup que je n'avais pas su tenir. J'avais trahis tellement de cœur emplits d'espoir, principalement le mien et voilà que j'en faisais encore. Des promesses...
Un soupir lasse s'échappe d'entre mes lèvres.

Après avoir slalomé entre ces hauts murs qui me rendent chaque instant un peu plus hystérique, je trouve enfin des escaliers, en spirale, comme dans les châteaux du moyen âge qui ont été effacés. Lorsque mes pieds se posent sur ces marches luxuriantes, j'ai presque honte. Elles sont blanches, immaculées, et voilà que la tâche que je suis vient les salir. Si tous, connaissaient mon parcours, je ne serais pas en vie. Cette bonne femme m'aurait déjà tué, si elle savait.

Alors que j'entame les dernières marches, un regard perçant, aussi mystérieux que sombre me fait pâlir. Ce même regard qui a croisé le mien cette nuit là. Celui qui m'a un tant soit peu accroché à ce qu'il me reste de vie.

_Eve. Dis-je dans un souffle, comme pour relâcher la pression qui s'était accumulée dans mes poumons.

Elle semble surprise que je prononce son prénom mais au dernier moment, elle me tourne le dos en me faisant signe de la suivre.
Je reste un moment sur mes gardes, m'attendant à n'importe quoi mais rien ne vient.

_Tu vas rester là encore longtemps? J'ai des choses à faire je te signale! Elle hurle un peu plus loin.

Je m'empresse donc de la suivre rapidement entre ces murs qui me sont inconnus. Nous marchons pendant un moment jusqu'à déboucher dans le grand hall du manoir.
Je m'émerveille toujours autant que la première fois devant tant de beauté. Ces murs, leur couleur, leur aspect dominant, tout me fascine dans cette architecture. C'est à croire que tout a été conçu pour des rois, tellement c'est impressionnant.
Eve me mène vers la cuisine, prend deux pains au chocolat dans un plat et sors par la baie vitrée. Nous arrivons devant un immense saule pleureur, entouré d'arbustes fleuris et de quelques chaises en bois disposées un peu en désordre. Le rendu est vraiment très beau et je reste interdit devant autant de simplicité et de magnificence.

Le petit soldat finit par m'inviter à prendre place près d'elle et me tend un pain que j'accepte après quelques hésitations.

Pendant que nous mangeons en silence, je prends le temps de la détailler. Eve est femme élancée à la peau laiteuse parsemée de tatouages diverses. Elle a les cheveux noirs, rasés d'un côté et de l'autre côté, une mèche assez longue de ses cheveux couvre sa joue. C'est une belle femme mais je ne sais pas pourquoi il lui manque un truc. Une certaine aura, cette étincelle là...
Comme celle du petit ange. Pourquoi je les compare? Arrrg! De toute façon, depuis qu'elle est venue me voir à l'infirmerie, elle a complètement disparu. Trop occupé par bien de choses, je ne me souciait plus de sa présence et cela n'était pas pour me déplaire, j'avais enfin un minimum de répit. Sa présence m'opresse, dès que son regard croise le mien, je crains le pire et ne pas la voir est libérateur.

_On ne tue pas les innocents.

Je sors de ma torpeur et relève la tête vers elle qui a le regard lointain.

_Cet homme que j'ai tué ce soir là était un de nos clients.

Je me souviens. Cet homme qui est au début paraissait au dessus d'elles avec ses larges épaules et sa grande taille, à qui la vie avait été arrachée par ce qui semblait être des fourmis devant lui, était donc un client. Mais qu'avait-il fait pour mériter la mort?

Elle continue son récit, toujours sans un regard pour moi.

_Il a essayé de nous doubler alors la patronne nous a envoyé, Océane et moi, pour le mettre en garde. Mais lorsque nous sommes arrivées, nous avons vu de pauvres adolescentes, nues, attachées à des barres en métal entrain de se faire tripoter par des hommes complètement à l'ouest.

Elle rit sombrement avant de me regarder droit dans les yeux.

_Il les avait salies! Souillées! Crie-t-elle.

_Je ne pouvais pas laisser faire tu comprends?

Ses yeux remplis de larmes à présent, elle me supplie presque de partager son avis.
Je comprends qu'elle ne puisse pas laisser d'êtres ignobles faire le mal autour d'elle, j'ai moi-même essayé d'arrêter le mal, mais tuer, est encore pire. Prendre la vie d'un autre, la jeter comme une vulgaire loque, c'est se condamner soi-même à une mort lente. Les actes commis nous rattrapent et nous finissons par partir, avec plus de regrets que d'autres, tout droit vers la souffrance éternelle.
Alors oui je comprends son choix, mais je ne suis pas totalement d'accord avec car même si le fond est bon, la forme vient toujours avant.

_Je comprends, mais crois-tu réellement que le tuer allégera ta conscience? Tu pense que tu seras en paix en sachant que tu lui a ôté ce qu'il avait de plus précieux? Je ne suis pas un ange non plus mais tuer détruit plus qu'autre chose.

_Pour qui tu te prends pour me faire la morale? Tu l'as dit toi-même, tu n'es pas un ange non plus alors reste à ta place veux-tu?

Rester à ma place?  Mais qu'elle est donc ma place? N'était-ce pas elle qui me parlait de choses que je ne voulais pas connaître? C'est bien elle qui s'est mise à débiter des secrets que je ne voulais pas entendre et maintenant, elle me demande de rester à ma place. C'est elle qui m'a sorti de là où j'étais. C'est elle qui m'a kidnappé, torturé, enfermé et par leur faute à toutes je suis obligé d'entrer dans leur monde pour en sortir. Quelle ironie, je n'ai rien demandé et voilà que tous les malheurs de l'univers semblent me tomber sur la tête.

Énervé, je décide de retourner dans cette chambre, avant de commettre une autre bourde.
Bien évidemment je tombe sur ce visage d'ange qui me hante jour et nuit depuis que nos regards se sont ancrés l'un l'autre. Encore une qui se croit au dessus des autres.

_Qu'est-ce que tu fais là? Me demande-t-elle.

_En quoi cela vous concerne-t-il?

_Tu es bien insolent pour quelqu'un que je pourrais tuer aisément si l'envie me prenait. Elle sourit méchamment en faisant un pas vers moi.

Sa réplique me clou au sol, elle a raison je devrais faire plus attention à mes mots. Je suis tout de même dans sa demeure et elle pourrait très bien m'enterrer vivant si elle le voulait.

Elle en fait un autre puis deux, arrive à ma hauteur, plonge son regard dans le mien, m'étudie comme pour sonder mon âme.

_Viens. Finit-elle par dire.



𝑊𝑜𝑚𝑎𝑛Où les histoires vivent. Découvrez maintenant