Le service #1

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Assise dans mon compartiment, j'observe l'homme dégarni face à moi qui a passé son temps à laisser trembler sa jambe. En proie à l'énervement, je m'interroge sur la meilleure façon de l'arrêter. Je m'imagine assez bien me redresser et l'immobiliser de mes deux mains en le menaçant de l'amputer s'il continue, ou même lui demander d'aller trembloter ailleurs.

 Malheureusement, les places semblent chères dans la voiture bondée. Il me sourit lorsque nos regards se croisent, j'hallucine... Se rend-il compte de l'état de nerfs dans lequel il me met ? Je me décide à quitter ma place sans attendre l'arrêt total du train, c'est une question de survie, pour lui comme pour moi. 

Sortir d'ici et profiter d'un peu d'air frais est devenu une priorité dès l'instant où il a posé ses fesses sur le siège opposé au mien. Je suis incapable de me retenir plus longtemps. Le trajet a duré près de quatre heures trente et mon cerveau me supplie de bouger. Le manque de nicotine se fait sentir malgré les innombrables chewing-gums mâchés pendant le voyage. J'attrape mon sac marin et quitte cet enfer sans même lui dire au revoir. S'il savait où il peut se le mettre, son sourire.

Je pose un pied au sol et me faufile entre les passagers qui cherchent à savoir quelle direction prendre et qui s'amassent devant les écrans indiquant les quais à emprunter. La température n'est pas très élevée et m'oblige à m'arrêter pour fermer ma veste en cuir. 

Le bruit environnant m'agresse les oreilles, les gens parlent fort pour se faire comprendre de leurs interlocuteurs. Je traverse le hall voyageurs qui abrite les guichets et les distributeurs automatiques de titres de transport. Je fixe mon objectif sans prêter attention aux personnes qui attendent en râlant. Les trains arrivent encore avec du retard. 

Les portes en verre de la gare me permettent d'entrevoir rapidement mon arrêt de bus habituel. Ils n'ont pas modifié les lignes et une navette sera là dans quelques minutes pour me déposer au centre-ville de Biarritz. 

Je patiente sur le trottoir, en retrait, pour éviter la proximité avec les autres usagers sous l'abri surpeuplé. Une soudaine envie de fumer me prend aux tripes, les automatismes ne se perdent pas comme ça. C'est frustrant... 

Malgré mon abstinence totale depuis trois mois, certaines situations me sont plus difficiles à vivre que d'autres. Je glisse ma main gauche dans la poche de mon jean et profite de ces quelques instants dans ma bulle pour étouffer la minute de manque qui m'assaille. Une minute, c'est tout ce qu'il me faut et c'est par chance le temps d'attente avant que le bus ne s'arrête devant moi.


Après un sourire poli au chauffeur, je paie mon ticket et m'installe au centre. Les gens présents semblent peu stressés, certains écoutent de la musique ou lisent alors que d'autres discutent. Des éclats de rire me parviennent et me rappellent l'époque où j'habitais ici sans courir après le temps. Mon attention se porte vers l'extérieur où les arbres défilent à vive allure, leurs feuilles s'apparentant à une nuée de moucherons verts. Les bâtiments et magasins se succèdent, mais ne se ressemblent pas. 

Mon téléphone vibre dans mon sac bandoulière et me sort de ma contemplation. Maman m'attend pour partager un encas. Son instinct de mère nourricière lui commande de me faire manger à outrance à chacune de mes venues. Je la rassure à propos de mon retard et en profite pour répondre aux quelques messages notifiés sur mon écran avant de ranger mon smartphone. Le trajet dure quarante minutes. 

D'habitude, je prends l'avion pour arriver plus vite, mais j'ai voulu optimiser le temps du voyage pour travailler un peu sur mon ordinateur. Quelle idée... À défaut, j'aurai contribué à sauver la planète.

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant