Le coming out #1

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— Les meufs ? répété-je en riant comme si je ne comprenais pas son insinuation.
M'apprêtant à hausser les épaules et lever les paumes au ciel, je suis coupée dans mon élan par son regard dissuasif.
— Arrête de faire l'innocente, j'ai tout entendu de ton coming out. Maman et Delphine en ont discuté et...
— Et te connaissant, tu as écouté aux portes, supposé-je sans véritable doute.
— En même temps, c'était la seule solution pour glaner des informations intéressantes. Tu savais que madame Broutin du troisième se tapait la libraire, toi ? Non ? Bah voilà ! J'ai toujours dit qu'elle était lesbienne. J'ai un bon gaydar. Enfin bref, t'as jamais été le potin le plus croustillant de l'immeuble. Allez, accouche, j'attends. Donne-moi ta version des faits !

— Oh... tu sais, il n'y a pas grand-chose à raconter... tenté-je de m'échapper pour la taquiner.
— Steuplé...

Ses yeux larmoyants me font succomber. Il n'y a pas à dire, c'est une excellente comédienne.

— Bon, d'accord. J'avais quatorze ans, j'ai embrassé Mathilde Petit dans les toilettes du collège et on s'est fait griller. Fin de l'histoire.
— Pop pop, doucement ! Commence par le début. De toute façon, je te préviens, je veux tout savoir ! me pousse-t-elle pour balayer ma retenue.

Elle ne me lâchera pas. Après tout, si ça peut lui changer les idées, pourquoi pas ?

— J'étais en troisième et Mathilde était la plus jolie fille du collège. Tous les mecs lui couraient après, tu vois le genre ? Ça en était limite pénible pour elle. Le soir, nous rentrions ensemble, ils étaient moins relous quand j'étais là. Je lui portais même son sac.
— Hé ! T'essayerais pas de me pécho ? Moi aussi, tu m'as porté mon sac, commente Léa en riant.
— Ne prend pas tes rêves pour la réalité ! m'offusqué-je. Tu veux la suite ou pas ?
— Ok, je me tais...

— Je n'étais pas amoureuse d'elle, mais je l'aimais bien. Elle était gentille.
— Assez gentille pour te laisser mettre ta langue dans sa bouche.

Pendant la pause de l'après-midi, en sortant des toilettes, j'avais trouvé Mathilde dissimulée dans un coin près des lavabos avec un livre. Avec ce visage fin, sa blondeur et ses yeux vairons d'un bleu et d'un vert cristallins, elle ne laissait personne indifférent. Mais, bien plus que son corps parfait, ses seins développés et ses fesses rebondies, c'était son humilité et sa bienveillance qui la rendaient belle à mes yeux. Quelque chose me donnait envie de la protéger et elle se laissait faire avec gratitude.

— Tu te caches ?
— Ici je suis tranquille, ils ne peuvent pas entrer. Hier, Ludo a essayé de m'embrasser, je l'ai repoussé. Depuis, c'est devenu une compétition. C'est à celui qui va me tripoter le premier.
— Allez viens, ça va sonner. On a sport. Je ferai barrage, avais-je tenté de la rassurer.
— J'avais pas l'intention d'y aller. Je préfère encore les toilettes à tous ces crétins qui me matent pendant que je cours.

J'avais de la peine pour elle. Je devais avouer que moi aussi j'avais quelquefois admiré ses formes magnifiques, mais je ne comprenais pas qu'on puisse insister de la sorte. Les poussées d'hormones naturelles chez les ados que nous étions n'étaient pas, pour moi, une excuse suffisante pour la harceler sans cesse. Je m'étais assise à côté d'elle sur le carrelage dur et froid, compatissante.

— Moi, je n'ai pas ce problème, je fais une tête de plus qu'eux et je n'ai pas vraiment de poitrine.
— Ça te va bien, tu sais.

Une légère rougeur avait teinté mes joues. Heureusement, la sonnerie et les cris de la pionne pour que tous les élèves rejoignent leurs classes au pas de course m'avaient sauvée de cette situation embarrassante. Les compliments avaient toujours tendance à me mettre mal à l'aise.

— Viens, avait-elle lâché en empoignant nos sacs.

Mathilde m'avait tirée et entrainée dans un renfoncement qui servait à l'homme d'entretien pour brancher son tuyau d'arrosage. Sans vraiment comprendre, je m'étais retrouvée collée à elle, une main plaquée sur la bouche. Lorsque la surveillante avait surgi quelques secondes plus tard pour vérifier que chaque cabinet était bien vide, une myriade de sentiments m'avait assaillie. Tiraillée entre l'excitation due à la présence de ce corps chaud contre le mien, l'exaltation de braver l'interdit et la peur de se faire prendre, j'avais cessé de respirer.

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant