La rentrée #1

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— Qu'est-ce que c'est ? me demande Léa.
— Tu sais que j'adore la photo ? C'est comme ça que j'ai pris l'habitude de créer un album par personne qui a tenu une place importante dans ma vie.

Nous nous appuyons contre le dossier du canapé. Je le loge sur mes genoux. Ma main se pose sur l'attrape-rêves doré qui orne la couverture bleue. J'ouvre vite ce petit trésor de souvenirs dont le premier a été immortalisé il y a dix ans.

Chaque détail de notre histoire m'assaille et me replonge dans le passé. Mes yeux se plissent et pétillent. J'ai connu tellement de sentiments plaisants quand je songe à cette rencontre qui a changé ma vie. Je me racle la gorge afin de m'éclaircir la voix que je sens émotive.

Le regard de Léa se pose instinctivement sur le premier cliché.

— C'est elle dont tu me parles ? vérifié-je en caressant son image du doigt.
— Oui, me répond-elle en exagérant son acquiescement.

Elle frétille d'impatience. Son engouement m'amuse. Je m'intéresse de nouveau à la photo sur laquelle Lucie fixe le tableau, appuyée sur son coude avec le bout de son stylo entre les lèvres. Un tic qu'elle répétait à chaque fois qu'elle se concentrait sur quelque chose. Ses cheveux blonds retenus en chignon par un crayon découvrent sa nuque. Seule une mèche qui s'en est détachée passe derrière son oreille.

Je me rappelle l'avoir prise alors qu'elle écoutait les interminables instructions de monsieur Fito, notre professeur principal et accessoirement de français, pour l'année. Ce petit homme brun à moustache, d'allure longiligne et très énergique, effectuait inlassablement des allers-retours d'un bout à l'autre de l'estrade. Chacune de ses phrases était ponctuée de grands gestes.

Nous étions installées à nos places depuis presque deux heures et j'avais passé plus de temps à fixer la blonde qu'à m'intéresser aux informations dites primordiales pour l'obtention du bac. Nous n'étions qu'à la rentrée de seconde et il nous parlait déjà d'examens, de résultats, d'études universitaires... J'avais trouvé un sujet beaucoup plus attractif que la construction de ma future vie d'adulte.

J'avais tenté de rester discrète, mais sortir mon smartphone juste devant le nez du prof n'avait pas été l'idée du siècle. Non seulement je m'étais fait griller par lui, mais aussi par Lucie qui n'avait rien raté de la réaction de monsieur Fito. Cette pulsion m'avait couté mon téléphone, un affichage dès le premier jour et un sermon moralisateur au possible. Combo gagnant.

Mais ce n'était rien à côté du sourire de ma voisine. Un sourire à se damner qui m'avait donné chaud et des rougeurs aux joues. J'espérais qu'elle prendrait mes couleurs pour de la timidité et que cette décision précipitée ne l'effraierait pas au point qu'elle demande à changer de place.

Moi-même, j'avais l'impression d'être une stalkeuse surexcitée.

— J'étais impatiente à l'idée d'entrer en seconde : nouveau bahut, nouvelle classe, nouvelles têtes. Un reboot total, au collège je me faisais chier.

La cour des grands m'accueillait. Je comptais passer ces trois années rapidement et vite gagner mon indépendance. Je n'éprouvais pas spécialement de stress ou de peur. Je n'avais jamais eu de problème pour m'adapter jusque-là, donc aucune raison pour que ça commence. Les cours débutaient à huit heures et je m'étais pointée avec dix minutes d'avance devant la grille ouverte, le sac sur le dos et les mains dans les poches. Je me sentais à l'aise, un peu trop d'ailleurs. Les autres élèves étaient déjà pour la plupart dans les couloirs, j'étais l'une des dernières à trainer dehors.

— Tu as croisé Mathilde ? m'interroge Léa.
— Nope ! Elle a déménagé pendant les vacances.
— C'est dommage... Enfin, avec ton irrésistible charme, t'as dû en trouver une autre pour t'exercer, commente-t-elle.

Je souris, si elle savait...

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant