La décoration ici n'a pas changé. Le même tableau, représentant un paysage de campagne, trône sur le mur face à moi ; cette maison devant un champ de blé inspire la tranquillité. Plusieurs plantes vertes s'épanouissent dans les angles.
Le tapis sur lequel repose la table basse en bois vernis a, sans aucun doute, vécu de meilleurs jours. Ses couleurs chatoient moins qu'à une époque et son tissu n'a pas résisté aux griffes acérées du chat roux, Mimi.
Cet escroc s'était incrusté du jour au lendemain au grand dam de Kiki et Lala, le couple de canaris jaunes, qui osent encore chanter malgré le danger qui rôde. Maman l'avait croisé plusieurs fois en bas dans la cour et après s'être assurée qu'il n'appartenait à personne, l'avait nourri et invité à entrer dans son logement sans demander l'autorisation aux oiseaux.
Nous nous asseyons sur le canapé, protégé des griffes du matou par un drap rouge, face à cette orgie culinaire. Je ne suis pas trop sucré ni bouffe tout court, d'ailleurs, mais la cuisine de ma mère est à tomber et j'ai faim. Je m'empare d'une part de brioche avant de replier mes pieds sous mes fesses et de me plonger dans la chaleur apaisante de l'amour maternel.
J'apprécie ce délicieux moment de complicité. Elle en profite pour glisser ses doigts le long de ma joue et me caresse lentement de son pouce. Mon cœur se gonfle sous l'effet de cet effleurement et me rappelle toutes les fois où elle m'a serrée contre elle pour me câliner.
Un agréable silence s'installe entre nous. Seul le murmure de sa respiration me parvient. Le sommeil pourrait me gagner d'un instant à l'autre.
— Quel bonheur de t'avoir à la maison ce week-end... Ces derniers jours sont passés beaucoup trop lentement, me confie-t-elle du bout des lèvres.
Je comprends son ressenti. Depuis la fac, j'habite Paris et, même si je viens une fois par mois, cette absence est dure à gérer pour elle. Elle m'a poussée à prendre mon envol et accomplir mes rêves, mais nous avons toujours été très proches et cet éloignement nous pèse. Elle me manque aussi atrocement.— Et ton nouveau boulot ? m'intéressé-je pour lui changer les idées.
— Ils ont constamment besoin qu'on leur tienne la main, mais ça me plait. Je me suis fait ma place là-bas et ils me respectent.
Mes yeux roulent alors que je plante mes dents dans la brioche chaude. Elle sourit et se rassure de me voir avec de l'appétit.
— Hum... C'est trop bon. J'adore tes gâteaux.
— Au fait, j'ai eu des nouvelles de Claire.
Cette petite femme rousse d'un mètre soixante nous avait sauvé la vie de bien des manières. L'ancienne voisine de maman n'hésitait jamais à me recueillir lorsqu'elle m'envoyait en catastrophe chez elle pour m'éviter les coups de mon géniteur.L'infirmière de quarante-six ans avait ce don pour détourner mon attention de ce qui se déroulait derrière la porte d'en face. Mes regards inquiets en direction de notre logement ne lui échappaient jamais. Elle trouvait sans cesse une solution pour m'éloigner de cette envie de retourner là-bas et de défendre ma mère. J'étais bien trop jeune.
Après avoir appelé la police, elle montait le son de la musique et nous proposait, à sa fille Léa et moi, de danser ou de jouer le temps que les choses se calment. Nos deux mères avaient fini par devenir amies et ne s'étaient plus jamais quittées. Elles savent qu'elles peuvent compter l'une sur l'autre quoi qu'il arrive.
Quand je repense à tout ça, j'éprouve encore de la colère, mais aussi une grande fierté. Ma mère n'a pas baissé les bras et s'est battue pour se reconstruire une belle vie, emplie de joie et de bonheur.
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L'album photo - Jordane Luce
RomansaLorsque Lucie fait une entrée fracassante dans la classe de Raphaëlle, cette dernière ne parvient plus à détourner d'elle. La jolie blonde va se battre pour rester auprès d'elle au fil des ans, lui faire accepter ses sentiments et soigner ses blessu...