Le coming out #5

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Je m'égare de nouveau. Petit à petit, je m'étais éloignée de lui. Passer le moins de temps possible en sa compagnie m'était salutaire. J'avais préféré, à maintes reprises, rester dans ma chambre, me balader avec mon portable sur la plage ou en ville pour prendre des photos. C'est à cette période que ma passion pour la photographie était née.

Sublimer ce que je voyais m'apparaissait comme essentiel, peut-être pour mettre plus de joie et de bonheur dans ma vie. Je me sentais en sécurité lorsque j'étais seule, dehors, à mitrailler tout ce qui se présentait à moi. Puis chaque fois que je rentrais, je ne savais pas s'il serait déjà là ou pas, dans quel état, s'il avait bu ou non.

Je stressais à l'idée de retourner chez nous parce que j'avais peur de trouver ma mère en pleurs ou pire. Quand il était absent, je lui montrais mes photos, toute fière de ce que j'avais fait. Son sourire m'éblouissait lorsqu'elle les regardait. Une fois, j'avais essayé de les lui exposer, à lui, en même temps, mais il m'avait répondu que c'était une perte de temps, que ce n'était pas avec ça que j'allais gagner ma croûte plus tard. Déjà qu'à ses yeux, je ne valais pas grand-chose...

— Je suis vraiment désolée que vous en soyez passées par là, c'est injuste, commente Léa pour m'extirper de ma torpeur.
— Je n'en veux à personne. Je le déteste, lui. De toute façon, c'est de l'histoire ancienne tout ça, je suis plus forte maintenant. Des choses positives sont ressorties de cette situation. À vouloir toujours l'éviter, j'ai passé énormément de temps à l'école et ça m'a servi pour mes études. J'ai kiffé me rendre au lycée.

Là-bas, j'arrivais à penser à autre chose. Parfois, certaines images de la veille me revenaient en mémoire, mais, dans l'ensemble, je parvenais à donner le change. On apprend très vite à cacher certaines choses, à mettre des mouchoirs sur ce qu'on ne veut pas que les gens sachent.
Pendant les cours, je m'évertuais à travailler correctement, à rendre des devoirs satisfaisants pour rapporter de bonnes notes et la rassurer.

On pouvait seulement me reprocher mon manque de participation. Mais sinon, j'avais beaucoup de raisons de réussir : ôter un poids des épaules de ma mère, m'éloigner de la bulle austère qu'il avait créée autour de nous et surtout prouver à mon père qu'il avait tort sur moi.

— Le lycée représentait ma rédemption, expliqué-je à Léa. J'avais tellement hâte de grandir, d'être indépendante financièrement et de lui dire : « Tiens connard, regarde ça. Je ne suis pas une moins que rien et aujourd'hui, maman et moi, nous pouvons nous passer de toi. »
— Ça aurait été magique de voir sa tête.
— J'avoue, mais je me serais certainement pris une trempe, avoué-je mi-amusée, mi-gênée.
— Il me semble que t'as eu une copine au lycée, non ? change Léa de sujet pour détendre l'atmosphère.

Évidemment... Je devine dans l'instant à qui elle fait allusion, Lucie... Une seule personne était assez proche de moi à l'époque pour que Léa connaisse son existence.

— Pas vraiment...
— Une blonde aux cheveux longs, me décrit-elle sans aucun doute.
— Tu sais que tu me fais peur là... On ne peut rien te cacher, remarqué-je. Tu devrais peut-être penser à devenir enquêtrice plutôt que comédienne.
— Le choix a été cornélien, mais les paillettes me vont mieux que l'imperméable, avoue-t-elle en appuyant ses paroles d'un clin d'œil. Je vous croisais parfois devant le bâtiment. Je me rappelle qu'elle était très jolie et que vous étiez toujours collées ensemble. J'ai tout de suite flairé le crush.

Mes lèvres s'étirent lentement et un souffle de nostalgie m'échappe. Je me lève et me dirige vers la bibliothèque pour attraper l'un des albums photos. Je m'assieds de nouveau à côté d'elle.

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant