Le service #2

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Lorsque le bus s'arrête devant la mairie, j'attrape mon sac et descends rapidement. L'air me parait encore plus frais que tout à l'heure et une fine pluie commence à tomber. Je souffle sur mes gants et frotte mes mains entre elles en espérant me réchauffer. 

Peine perdue, des frissons courent déjà dans le bas de ma nuque. Le vent me frappe le visage alors que la capuche de mon sweat, vissée sur ma tête, repousse difficilement son crachin. Je plisse le nez et me concentre sur l'odeur de l'océan. Des jappements de mouettes me parviennent accompagnés du chant des vagues. 

Une promenade s'imposera dès que possible, cet air me revigore et je compte bien en profiter. Je jette un œil à gauche puis à droite avant de m'engager sur le passage piéton en accélérant le pas. Après un mois d'absence, mon besoin de retrouver ma mère devient plus que pressant.
J'emprunte l'avenue d'Ossuna et déboule devant un bâtiment de quatre étages d'un blanc jauni par les attaques du soleil. 

Je saisis le code de l'interphone en appuyant fortement sur les touches et pousse la lourde porte rouge. Je m'engouffre dans la cage d'escalier et profite des quelques degrés supplémentaires. Mon couvre-chef glisse dans mon cou et je secoue la tête avant de grimper au pas de course les deux niveaux qui me séparent d'elle.


Nous avions emménagé après avoir fui mon père. Ce logement avait représenté notre rédemption. Pour la première fois, les murs qui nous entouraient nous protégeaient plus qu'ils nous emprisonnaient. Je me rappelle l'apaisement que m'avait apporté cette sensation nouvelle de sécurité en débarquant ici avec nos affaires. Encore aujourd'hui, je la sens m'envelopper de ses bras réconfortants dès que je m'approche de ce lieu.

Les ampoules de chaque étage s'illuminent sur mon passage et j'avance rapidement, le sac sur l'épaule. Les effluves de njansan, olum et piments cuisinés par le voisin camerounais embaument le hall. Lui non plus n'a pas déménagé de ce petit coin de paradis. Je me laisse emporter par cette odeur que j'apprécie particulièrement. Ce mélange d'épices ajoute de la chaleur et de la couleur à ces murs pâles.

Je frappe deux coups discrets et pénètre à l'aide de mon double dans l'appartement. Le couloir peint en jaune orangé expose des photographies de famille, principalement de nous et de l'homme doux qui partage sa vie depuis huit belles années maintenant, Pierre. Elle l'avait rencontré un an après sa séparation, sur son lieu de travail. Il participait alors, en tant que représentant de son entreprise, à une réunion sur l'appel d'offres pour l'installation du nouvel ERP. 

Après l'obtention du marché, ils avaient eu plusieurs contacts durant lesquels il s'était montré poli et aimable. À force de discuter, il avait fini par lui proposer un déjeuner, puis lui réserver tous les autres qu'ils étaient à même de partager. Elle était aux anges en rentrant à la maison. J'avais tellement éprouvé de plaisir à la voir prendre soin d'elle de nouveau et à l'entendre chantonner dans les couloirs quand elle pensait s'y trouver seule. J'avais vite pu constater qu'il faisait tout son possible pour la rendre heureuse.


Je ne m'inquiète plus pour elle comme à l'époque, surtout depuis la fois où il avait attrapé mon géniteur par le col pour le sortir du bâtiment. Il avait cherché notre adresse et s'était pointé en hurlant que nous lui appartenions. La blague... Pierre était arrivé juste à temps pour prendre notre défense. Mon père n'avait fait ni le poids ni le fier face à un homme de sa corpulence et n'était plus jamais revenu nous importuner.

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant