Le service #3

49 3 0
                                    

J'ai à peine le temps d'accrocher ma veste au porte-manteau que ma mère s'approche déjà de moi, les bras tendus. Je la serre contre ma poitrine et lui assène deux grosses bises. Son contact m'apaise.

— Raphaëlle... Je suis contente de te voir. Comment s'est déroulé ton voyage ? s'intéresse-t-elle en me permettant de respirer un peu.

Je m'écarte d'un pas et la sonde comme à mon habitude pour vérifier que tout va bien. Nous nous ressemblons beaucoup. Toutes les deux sommes brunes aux yeux verts avec des éclats de marron. La tache de naissance qui serpente sur mon omoplate correspond en tout point à la sienne et prouve notre lien de parenté. Elle garde les cheveux longs depuis qu'elle a quitté mon père tandis que j'ai commencé à les couper au lycée. 

Je la surplombe de sept centimètres avec mes un mètre soixante-dix, mais, de nous deux, c'est elle la plus forte. Nos caractères sont assez similaires, réservés, mais traduits de manières différentes. Elle évite d'attirer l'attention alors que moi je me cache derrière une certaine nonchalance et une désinvolture feinte.

Elle me contourne et ferme la porte à double tour derrière moi. Certaines habitudes persistent avec le temps. Tant qu'elle se sent en sûreté, c'est le principal. Elle ôte la clé de la serrure et l'accroche dans sa boite fixée au mur.


— Le trajet en train dure une éternité, me plains-je, mais j'ai avancé sur les retouches de mes photos. Du moins, j'ai tenté... La jambe de l'homme assis face à moi n'a pas arrêté de trembler. Il m'a saoulée, le marteau piqueur ! J'ai l'impression de sentir encore les vibrations. Si ce stressé de la vie avait su se retenir, j'aurais passé plus de temps à bosser qu'à imaginer mille et une façons de m'en débarrasser.


Maman rit et me pose une main sur le visage pour me calmer.

— Tu as opté pour l'avion au retour ?
— Oui, c'est préférable si tu ne veux pas me retrouver en détention...
— Et ton travail ? Comment ça se présente ?
— J'ai réalisé des shootings d'animaux de compagnie et mon planning grossit de jour en jour pour les mois à venir. Le bouche-à-oreille commence à payer. On me propose même des mariages.
— Je me réjouis pour toi, mon cœur, avoue-t-elle en me serrant la main, tu as bien fait de suivre ton rêve et de tenter ta chance.

Après avoir glissé son regard tendre sur moi, elle m'invite à la suivre en se dirigeant vers la cuisine.

— Viens, tu vas adorer les pâtisseries que j'ai préparées spécialement pour toi. Laisse tes affaires là, tu les rangeras dans ta chambre après notre petite collation.

J'abandonne mes sacs dans le couloir sans me retourner et l'accompagne en souriant. En pénétrant dans la pièce, je remarque tout de suite son nouveau four encastré dans des meubles en mélaminé. Cette pièce s'ouvre sur un balcon où trône un guéridon vert kaki assorti de deux chaises de teinte identique.

— C'est joli, commenté-je en m'intéressant de nouveau à l'intérieur.
Ses joues s'empourprent et ses lèvres s'étirent lentement.
— Pierre a fait des travaux. Comme j'y passe la majorité de mon temps libre... Il aime manger et moi cuisiner, ça s'est donc imposé à nous. Nous avons sillonné pas mal de magasins. Je n'arrivais pas à me décider, c'était la première fois qu'on me permettait de choisir mes meubles. J'ai bien réfléchi et voilà, m'annonce-t-elle fièrement en pointant l'agencement.
— Il rentre à quelle heure ? Je suis pressée de le voir.
— Vers dix-sept heures, même peut-être avant comme il sait que tu es là !
— Cool.

Une douce odeur de pain et de brioche maison me chatouille les narines alors qu'elle met de l'eau à chauffer. Elle dépose une tasse de thé, une de décaféiné et deux parts fraichement coupées sur un plateau en bois. Elle me tend la bouilloire et m'indique le salon. Nous dépassons la table pour six personnes, recouverte d'une nappe basque rouge et blanche.

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant