L'album photo - Jordane Luce

La rentrée #5

C'était elle qui avait instauré le contact entre nous. Son besoin naturel de me toucher me réconfortait dans l'idée qu'elle se sentait bien avec moi. C'était la première fois que les sentiments de quelqu'un m'importaient autant. Elle imposait un rythme détendu à notre trajet comme s'il était primordial d'en profiter, de profiter de ce laps de temps supplémentaire pour apprendre à nous connaitre.

Les contraintes de la journée nous avaient empêchées de bavarder comme nous le désirions. Chaque prof trouvait toujours quelque chose à redire. Nos seuls moments de tranquillité n'avaient duré que les quelques minutes consacrées aux pauses. Sur cette route, nous rattrapions un peu le temps volé. Je la laissais mener la danse, parler plus que moi et poser les questions qui m'amenaient à m'ouvrir à elle. Quelque chose de calme et de rassurant émanait de sa voix posée. J'avais préféré l'écouter et elle l'avait compris.

Malgré toute sa volonté pour retarder l'échéance, les minutes s'égrenaient bien trop vite à mon gout. Nous n'avions pas de pouvoir sur le temps. J'avais beau m'accrocher au fait que nous allions nous retrouver dès le lendemain, je refusais que cette journée unique s'arrête trop prématurément. Je redoutais le moment où j'allais être obligée de la quitter pour rejoindre ma prison.

— Tu as été jusqu'où comme ça ? s'amuse Léa.
— Elle habitait à deux kilomètres de notre immeuble. Je comprenais mieux pourquoi nous n'étions pas au collège ensemble. Nous repoussions la séparation en enchainant les discussions, chaque sujet de conversation laissait la place assez naturellement à un autre. Si bien que nous avons fini par nous assoir sur un muret à côté de chez elle.

Léa m'écoute sans m'interrompre, c'est du reste surprenant venant d'elle. Est-ce que sa pile se décharge ?

— J'espère que tu t'es sortie les doigts du cul ! m'invective-t-elle.

C'était trop beau pour être vrai...

— Je ne voulais pas la quitter, donc j'ai trouvé une solution. Je lui ai demandé son numéro de portable. Un sourire a illuminé son visage. Cette requête l'a touchée. Je faisais un pas vers elle alors que jusque-là, c'était elle qui venait vers moi. Je l'ai enregistré et je m'apprêtais à partir quand elle m'a rattrapée. Elle avait elle aussi quelque chose à me demander.
— Dis-moi qu'elle voulait un bisou ?
— Non, soufflé-je en riant. Elle a glissé ses doigts entre les miens et tout en me fixant, elle m'a lancé : « Je suis jalouse ».

— De qui ?
— Va savoir... répliqué-je en laissant trainer les mots pour la faire languir.
— Arrête de faire trainer ! m'ordonne Léa.
— Elle voulait une photo de nous.

La surprise avait envahi mes traits. Elle désirait la même chose que moi. J'avais pris une pose faussement décontractée, mais ça ne lui avait pas suffi. Elle avait fait non de la tête en riant et m'avait attirée vers elle. Elle avait collé son visage contre mon épaule et avait pris un selfie de nous deux. Son sourire étincelant effaçait complètement le mien, plus discret. Intérieurement, j'étais heureuse, mais il était difficile pour moi de le montrer. Une fois son souhait exaucé, elle m'avait déposé une délicate bise sur la joue. Mon cœur avait encore tapé un sprint et une douce chaleur m'avait entourée.

— Oh... c'est mignon, jubile-t-elle en applaudissant et sautillant sur ses fesses.

Après ça, elle s'était retournée et avait disparu derrière sa porte en me faisant un signe de la main. J'étais rentrée rapidement chez moi. Comme à son habitude, ma mère m'attendait pour le débriefing quotidien. Elle avait remarqué qu'une nouvelle lueur brillait dans mon regard. Je lui avais dit que j'avais rencontré une fille au lycée, pleine de vie, très gentille. Maman m'observait avec un sourire satisfait sur le visage. Mon téléphone avait sonné au même moment et elle m'avait fait signe de regagner ma chambre. C'était Lucie qui voulait savoir si j'étais bien rentrée. C'était le premier message d'une longue série. Nous avions passé la soirée à textoter sans pouvoir nous arrêter.

— Voilà comment ça a commencé, Lucie a apporté un souffle d'air frais dans ma vie.

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