L'album photo - Jordane Luce

La petite voisine #4

Elle se lève d'un bond et s'éloigne en courant vers la chambre comme si elle avait la mort aux trousses. Elle revient avec une petite boite qu'elle m'offre.

— C'est pour toi, annonce-t-elle en sautillant comme une gosse. Ne flippe pas, ce n'est pas une demande en mariage.

J'ai peur de l'ouvrir... J'attrape le contenant alors qu'elle s'installe à moitié sur moi. J'y découvre un appareil photo miniature. Je hausse un sourcil, ne comprenant pas où elle veut en venir.

— Qu'est-ce que c'est ?
— Une clé USB. Vu qu'on passait notre temps à danser quand tu venais à la maison, j'ai fait une compil des musiques de l'époque. Tu vas y trouver des pépites. Je t'ai mis du Shakira, du Daft Punk et plein d'autres choses.

Son geste me touche, mais je me retiens d'émettre le moindre commentaire positif. Fierté oblige.

— Merci, mais n'espère plus me voir danser...
— C'est ce qu'on verra... minaude-t-elle pour m'emmerder.
— Sinon, ma mère m'a dit que tu devais passer une audition. De quoi s'agit-il exactement ? changé-je de sujet rapidement pour lui ôter cette idée de la tête.

Loin de moi l'envie de faire des chorégraphies...

— De théâtre ! Tu ne vas jamais me croire, mais en rentrant dans l'adolescence, j'ai perdu confiance et je me suis un peu renfermée sur moi-même. Quand maman a découvert que je n'étais plus du tout à l'aise avec le monde qui m'entourait, elle m'a inscrite à un cours pour tester. J'ai adoré. Je ne sais pas si tu te souviens mais, déjà petite, j'aimais mettre en scène mes livres préférés et jouer la comédie. Le théâtre m'a permis de combattre ma timidité, de laisser libre cours à ma créativité et de la faire évoluer. C'est surprenant, mais interpréter différents rôles t'amène à en apprendre plus sur toi-même. C'est devenu une véritable passion.

— Tu as continué après le lycée ? m'intéressé-je.
— Non, j'ai suivi des études de psychologie à Toulouse. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'aurais dû savoir que ce n'était pas pour moi. J'ai essayé de m'accrocher, mais sans grand résultat. Puis j'ai eu la brillante idée de m'inscrire à l'association étudiante de théâtre de l'université et là, je me suis épanouie. Jouer m'a manqué. C'est à cette époque que j'ai vraiment compris ce que ça représentait pour moi. Ça a été une révélation ! Et je ne peux plus m'en passer depuis. J'ai décidé de tout plaquer pour m'y consacrer à plein temps et me voilà ! Tada ! À moi le Cours Florent.

— Le Cours Florent ? C'est quoi ?
— Une école de théâtre dans le XIXe qui propose un cursus en trois ans. J'ai déjà suivi des stages courts chez eux, près de Bordeaux.
— Tu ne pouvais pas rester là-bas ?
— Tu veux déjà te débarrasser de moi ?
— Adieu la vie paisible ! me lamenté-je en posant le dos de ma main sur mon front à la manière d'une grande tragédienne.

Léa rit. Mettrait-elle en doute mes talents d'actrice ?

— C'est ici que tout se passe. Trois cents spectacles par semaine. Cent trente salles. C'est la capitale du Théâtre ! s'émerveille-t-elle.
— Ouais, enfin, de la mode aussi et je ne suis pas devenue mannequin pour autant, la taquiné-je.
— Quand je serai célèbre, je t'inviterai à faire du shopping sur les Champs Élysées.
— Mouais, en attendant, signe-moi un autographe, Camille Cottin. Inscris : « À Raphaëlle, mon soutien de toujours ».
— Et si j'échouais ? me demande-t-elle dans un murmure incertain. Je me serais accrochée à un mirage. J'ai tout lâché pour courir après ce rêve. Si je foire, je n'ai plus rien. J'ai tout misé là-dessus. Ma vie entière tourne autour du théâtre.

Ne m'attendant pas à un tel retournement de situation, je la fixe en clignant des yeux. Elle triture son pendentif en forme d'hippocampe et son regard anxieux se perd dans le vide. Son visage se décompose à mesure que ses joues pâlissent. Sa poitrine, quant à elle, se soulève et s'affaisse à un rythme soutenu. Elle ne va quand même pas me claquer une crise d'angoisse ?