L'album photo - Jordane Luce

La rentrée #4

Ma peau frissonne encore lorsque j'énonce les émotions ressenties ce jour-là. Elle était devenue ma vie à cet instant. J'avais l'impression d'être complète à ses côtés. Je m'évade à cette pensée pour rapidement revenir à moi. Le problème quand on connait cette impression d'avoir enfin trouvé sa moitié, en amitié ou en amour, c'est qu'à l'instant où on la perd, une partie de nous disparait avec...

J'attrape mon verre et le termine. J'éprouve le besoin de me dégourdir les jambes. Je me lève et en propose un autre à Léa.

— Ahhh... Que demander de plus ? J'ai une pote et du potin. Allez, ramène tes fesses et raconte-moi la suite. Je veux du croustillant.

Elle tapote la place à côté d'elle en insistant sur le dernier mot.

— Tu veux du croustillant ? l'interrogé-je en me réinstallant.

Ses yeux s'illuminent.

— Le prof nous a passé un savon et c'était croustillant, crois-moi. Dès le premier jour, avec menace de nous séparer pour le restant de l'année. On a promis de se concentrer.
— C'est tout ce que t'as à me raconter ? Super...

Léa croise les bras comme une enfant. Sa mine renfrognée m'arrache un rire tendre.

— Sois patiente, la rassuré-je avec un clin d'œil. Une fois sorties, ça nous a bien fait marrer. Nous nous sommes dépêchées de rejoindre le cours de maths pour être sûres de choper des places au fond. Naturellement, on s'est mises ensemble.

Je me replonge dans mes souvenirs d'adolescente avec nostalgie. Nous avions regagné la salle trois cent dix, encore au troisième étage. Je m'étais demandé si ce n'était pas une manière de bizuter les élèves. Dans sa façon de se comporter, Lucie me donnait l'impression d'appartenir au genre de personnes qui prenaient soin des autres.

Dès le début, elle avait tenté de me mettre à l'aise. Elle cherchait toujours mon approbation par le regard ou mon contact par le toucher. Elle avait la peau douce, un sourire ravageur et une énergie inépuisable. Je ne pouvais déjà rien lui refuser alors que nous n'avions échangé que quelques mots. Je savais que le lycée allait bousculer ma routine, mais je ne m'attendais pas à ce chamboulement dans ma vie.

Quand elle m'avait demandé spontanément où je voulais déjeuner, j'étais soulagée qu'elle n'imagine même pas me laisser. Mon cœur avait tapé un sprint lorsque ces mots avaient traversé la barrière de ses lèvres. En fait, c'était le cas à chaque fois qu'elle s'adressait à moi. Je buvais littéralement ses paroles. Sa manière de me parler était tellement mignonne qu'elle me coupait le souffle. À cet instant, un accord silencieux entre nous était passé, on ne se quitterait plus.
Je l'avais emmenée dans une sandwicherie, pas très loin, où je mangeais régulièrement.

Je stressais à l'idée que ça ne lui plaise pas. Je ne connaissais pas ses gouts, après tout. Le patron m'avait saluée chaleureusement comme à son habitude et elle m'avait interrogée du regard. J'avais éludé en commandant un thon/crudités/œufs. Comment lui avouer que je dinais souvent dehors pour éviter mon père ?

— Nous sommes allées déjeuner ensemble et avons passé le reste de l'après-midi toujours collées l'une à l'autre, reprends-je.
— Ça a dû être compliqué de la laisser à la sortie des cours, commente-t-elle.
— En quittant l'enceinte du lycée, elle m'a indiqué partir en direction de la ville. C'était carrément à l'opposé de l'appartement, mais j'ai suivi comme si de rien n'était. J'étais à ma place, c'est tout.

Je me déplaçais les mains dans les poches, comme toujours. Lucie avait glissé la sienne sous mon avant-bras. Ça pouvait paraitre futile, mais moi j'étais aux anges. Elle s'était collée à moi et j'avais senti sa chaleur à travers mes vêtements. J'avais adoré ce rapprochement. Dans leur étreinte légère, ses doigts m'avaient caressée avec une douceur déconcertante qui détonnait avec l'affolement de mon rythme cardiaque. Je n'avais jamais su si c'était volontaire, mais les frissons qui m'avaient parcourue étaient bien réels.