Le coming out #4

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— T'as raison, on ne doit pas avoir honte et cacher ce que nous sommes, mais nous n'avons pas l'obligation de perdre du temps en justifications auprès de personne dans son genre.
— Ma mère ne m'a d'ailleurs jamais demandé si je voulais lui en parler.

Léa se détend un peu. Il est logique de l'évoquer, il fait partie de notre passé commun.

— Lorsqu'elle m'a dit que le principal était que je sois heureuse et qu'il fallait que la personne que j'aime soit gentille avec moi, j'ai sauté sur l'occasion pour essayer de savoir pourquoi elle restait avec lui. Il était tout sauf gentil... Je ne comprenais pas pourquoi ça s'appliquait à moi et pas à elle. Dans ma tête de gosse, je pouvais l'aider.

Ma salive pèse lourdement dans ma bouche. J'éprouve des difficultés à l'avaler, comme si une pierre obstruait ma gorge.

— Je voulais seulement qu'elle s'éloigne de lui à tout prix.

Adolescente, je ne me doutais pas de la peur que pouvait ressentir maman à l'idée de partir. Je n'imaginais pas tout ce qui se cachait derrière cette décision. Tous les problèmes auxquels elle aurait dû faire face en disparaissant du jour au lendemain : se retrouver à la rue avec une enfant, le risque de ne pas pouvoir subvenir à nos besoins. Et je n'avais pas connaissance de l'ascendant qu'il avait sur elle. Il avait réussi à lui faire croire qu'elle n'était rien sans lui, qu'elle n'était qu'une incapable.

Dès qu'elle préparait un repas ou entamait n'importe quelle activité, il la rabaissait, il lui disait que c'était mauvais. Au fil des années, sa toile s'était tissée autour d'elle. Toutes ses manipulations avaient détruit le peu de confiance qu'elle avait en elle.

Ses griffes m'avaient, moi aussi, enfermée. J'avais peur de sa force, de ses coups, de ce qu'il était capable d'infliger à ma mère si je parlais. Il lui avait fait croire que si elle tentait de partir ou de se plaindre, ça se retournerait contre elle, qu'elle me perdrait. Elle était tétanisée à l'idée qu'il s'en prenne à moi.

Il l'avait isolée, seule Claire avait continué à graviter autour de nous. Elle avait longtemps espéré que l'homme bon qu'elle avait connu existait toujours, c'était plus facile. Il savait se comporter comme un mari aimant en revenant avec des fleurs ou de petits cadeaux.

Léa respecte mon égarement, elle ne reprend que quand je la fixe à nouveau.

— Je n'ose même pas imaginer ce que vous avez pu vivre avec lui... Avec maman, il nous est arrivé de le croiser le soir avant qu'il ne rentre chez vous, m'apprend Léa. Cette masse d'un mètre quatre-vingts inspirait la peur. Tout de suite, elle m'attirait vers elle et nous faisait monter les escaliers plus vite en prétextant une course pour jouer. Une fois la porte fermée, elle observait ce qui se déroulait par le judas. La plupart du temps, tu te retrouvais assez rapidement dans notre salon.

— Quand ma mère me forçait à vous rejoindre, je ressentais une immense colère contre lui. Je n'avais aucun pouvoir sur ce qu'il se passait à la maison et cette putain de culpabilité me rongeait. À l'adolescence, j'ai commencé à lui répondre, à le contredire ou à lui tenir tête. Ça lui faisait péter les plombs et maman s'interposait. Il lui reprochait mon soi-disant manque d'éducation. C'était une excuse pour lui, tout était bon pour imputer ses erreurs aux autres. Mais à la longue, j'ai fini par croire qu'il s'en prenait à elle à cause de moi... J'ai alors appris à fermer ma gueule et encaisser même si au fond de moi je hurlais. Ce n'est pas aux enfants de protéger leur mère, mais naturellement on s'en veut de ne pas réussir, ajouté-je dépitée.

L'album photo -  Jordane LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant