Chapitre 9

54 6 0
                                    

[Aramis]

     La soirée s'était achevée à vingt-trois heures passées. Cependant elle ne dormait pas, se contentant de ressasser les instants précédents en boucle pour être sûre d'en imprimer chaque détail. La comtesse espérait que sa mémoire soit faite de marbre pour y graver facilement et durablement les dizaines de patronymes qu'il lui faudrait désormais retenir.

     Le peu d'heures passé au milieu des courtisans lui avait suffi pour capter l'essentiel. Bien que l'immense majorité des conversations soient composées de paroles respectueuses et de rires polis, l'on pouvait, en ouvrant l'œil, apercevoir çà et là quelques fugaces sourires hypocrites.

     Et cette impression de faux-semblants devenait encore plus évidente lorsque l'on passait dans les recoins plus sombres. Le machiavélisme se révélait alors dans toute sa splendeur, abrités par les colonnes, les invités faisaient tomber leurs masques, critiquant à tout va et échangeant leurs pensées sur les derniers plans tordus qu'ils avaient fomentés. Il y avait quelques exceptions, mais c'était là la grande vérité.

     Elle soupira. Un filet de vent l'atteignit soudainement. Aramis s'aperçût que Juliette avait oublié de fermer la fenêtre, et se leva pour le faire. Elle posa la main sur l'un des battants puis s'interrompît. Une brise, plus forte cette fois, fit voleter ses cheveux détachés. L'air pur et frais de la nuit semblait l'appeler.

     Alors elle effectua une action que l'étiquette ne cautionnerait sûrement pas, et devant laquelle sa mère roulerait des yeux comme elle le faisait si bien parfois. La jeune femme enjamba la rambarde et sauta comme elle l'avait si souvent fait au-dessus des palissades de l'écurie, ses pieds atterrissant directement sur le sol sablonneux. Elle n'avait même pas pris la peine d'enfiler des souliers.

     Ses pas la guidaient elle ne savait où, traversant les Jardins dans lesquels elle avait pénétré, comme une apparition fantomatique, sa robe de nuit blanche flottant au gré du vent qui prenait plaisir à jouer avec.

     Elle s'arrêta finalement devant une espèce de grand espace plane surplombant une grande étendue d'eau rectangulaire et s'accouda au garde-corps.

     Le ciel drapé d'un habit bleu si foncé qu'il en paraissait noir, piqueté d'étoiles brillantes, recevait en pièce maîtresse une lune pleine dont l'éclat scintillant se reflétait sur le bassin. La nuit était calme, troublée seulement par le chant de quelques insectes.

     Alors se fit entendre un bruit qui n'appartenait pas à la nature autour d'elle, comme un crissement de gravier. Le bruit se rapprocha et elle put confirmer qu'il s'agissait de pas. Elle tendit l'oreille pour suivre ces derniers qui s'arrêtèrent finalement à son niveau.

      Les arbres projetaient une ombre rendant seulement visible la vague silhouette de la personne. Tout ce qu'elle pouvait dire, c'était que la personne semblait plus grande qu'elle. Tandis qu'elle était parfaitement visible, éclairée par un faisceau lunaire.

     Les deux restèrent là plusieurs minutes sans parler, un silence s'étant installé qu'aucun ne rompit, comme d'un accord tacite. L'instant était comme suspendu. C'est

     Finalement, la comtesse y mit fin, interpellant l'inconnu :

« Il vous est impossible de trouver le sommeil ? »

     Seul le silence accueillit ses paroles et un moment s'écoula avant qu'une voix masculine ne s'élève :

« Je pourrais vous retourner la question. »

     En posant sa question, Aramis n'attendait pas réellement de réponse, un peu comme si elle lançait une bouteille à la mer. Mais celle de l'inconnu donnait un résultat équivalant, n'appelant pas vraiment à poursuivre la discussion. Mais c'est pourtant ce qu'elle fit, enhardie peut-être de ne pas pouvoir distinguer son interlocuteur :

« C'est plutôt que je choisis de ne pas dormir. J'utilise ce temps pour réfléchir, et à cette heure une grande partie des gens sont dans leurs couches, il y a peu de chances d'être dérangé.

— Je vous comprends. Cela dit, quelque chose devait vraiment vous tracasser pour que vous soyiez encore debout aussi tard. »

     Elle émit un petit rire.

« Ai-je dit que quelque chose me tracassait ?

— Pas explicitement. Cependant lorsque l'on a besoin de réfléchir c'est souvent qu'un obstacle quel qu'il soit nous fait face. Étant donné que vous êtes déjà habillée pour la nuit, j'en déduis que vous êtes ressortie de votre appartement. Donc cet obstacle doit être de taille.

— Soit, je m'avoue vaincue. Ce n'est pas un obstacle à proprement parler, plutôt une mise au point. Je suis arrivée très récemment et je pense qu'il me faut un temps d'adaptation. Ici tout va plus vite, tout est plus bruyant, plus exubérant aussi et ça change de ma campagne. Même si je savais à quoi m'attendre, c'est toujours plus intense à vivre qu'à imaginer.

— Vous n'étiez jamais venue auparavant ?

— Si mais il y a longtemps, très longtemps. Je suis même née ici. Le peu de souvenirs que j'ai conservés a servi pour me recréer une image d'ici mais à l'évidence depuis, ils sont obsolètes. Je retrouve bien quelques similarités mais en minorité.

— Il est vrai que cet endroit possède un cœur qui bat à son propre rythme auquel il faut s'harmoniser.

     Aucune suite ne fut donnée à ces paroles. Ils se contentèrent de fixer le bassin et les faibles vaguelettes qui ondulaient la surface, miroitant les astres. De temps en temps une feuille traversait leur champ de vision en pirouettant, prématurément arrachée à l'arbre nourricier par un vent malicieux.

     Puis la fatigue jusque là tenue à l'écart par un facteur inconnu commença à s'infiltrer doucement. Lorsqu'elle fut au point de lui faire fermer les paupières, Aramis décida qu'il était temps de rentrer avant qu'elle ne s'endormisse au beau milieu de ces Jardins. Il semblait peu probable que le sol soit un endroit agréable pour dormir.

     Elle se détourna alors et ré-emprunta le chemin en sens inverse. Ses bras agrippèrent le rebord et elle se hissa d'un geste dans la pièce puis épousseta sa chemise pour la débarrasser d'éventuelles saletés. Elle referma cette fois la fenêtre avant de se glisser dans ses draps et de sombrer rapidement au pays des rêves.

- - -

Petite info : Les vacances étant finies, je publierai toujours le mercredi mais plus l'après-midi 😊.

Il se peut aussi que le temps me manque pour corriger les chapitres avant publication donc peut-être que la qualité baissera un peu (à voir...)

Double JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant