Chapitre 15

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[Aramis]

     Elle était debout au centre de la pièce. Son regard, fixé sur rien en particulier se promenait sur les angles et moulures sans jamais s'y attarder.

     Peu après qu'elle soit rentrée un domestique lui avait délivré un message. Elle savait donc désormais que le lendemain, elle se présenterait devant la Cour, officialisant pleinement sa présence. Le grand jeu commencerait alors.

     Non qu'elle croyait être l'attraction principale, elle serait seulement l'un des sujets de discussion de l'après-midi, mais cela pouvait suffire à créer des préjugés sur elle. Tout dépendrait de l'attitude et du comportement qu'elle choisirait d'arborer. Selon ces derniers, une inimitié pourrait s'instaurer avec d'autres courtisans, il était si facile de se forger une opinion sur quelqu'un que l'on n'avait vu même qu'une unique fois.

     Bien sûr elle ne se savait qu'une petite pièce sur l'échiquier qu'était Versailles mais, à son échelle, des portes se fermeraient peut-être, qu'elle n'aurait jamais l'occasion d'explorer. Tant de relations qui ne verraient jamais le jour... Il était prévu qu'elle ne se montre ni hautaine, ni ouverte, mais impassible, possiblement parée d'un soupçon de bienveillance. De toute manière, elle n'était là que pour manifester son respect à l'égard des souverains et envers le Roi particulièrement.

    Juliette la sortit de sa distraction en venant lui enfiler ses vêtements de nuit. La comtesse se demandait parfois quel âge avait sa femme de chambre. Peut-être dix-neuf ans tout au plus. Une part de son être admirait la jeune fille, qui venait l'habiller chaque jour, faisait les poussières, exécutait ses moindres désirs... Tout cela pour répondre aux besoins d'une personne qu'elle ne connaissait vraiment. Non par choix, cela allait de soi, mais tout de même...

     Ce n'est qu'une fois apprêtée pour le coucher qu'elle fut réellement seule. Elle alla s'accouder à la fenêtre, et l'air du soir vint caresser son visage. Le contraste était saisissant. L'endroit, la journée, fourmillait de milliers de personnes et les lieux étaient perpétuellement animés de conversations, et, à la nuit tombée, un silence presque de mort tombait, laissant place à un calme plus que plat, donnant un réel sens à l'expression « on n'entendait pas âme qui vive ». Peut-être que des activités nocturnes se profilaient plus loin dans le château, elle ne le savait guère, mais dans cette aile, tout le monde semblait dormir.

     Elle savoura ce silence bienvenu. La jeune femme pouvait presque sentir la chaleur de la journée perdre de son intensité, les poils de sa peau se hérissant pour lutter contre cette fraîcheur nocturne. Elle ferma les yeux pour profiter de l'instant. Lorsqu'elle les rouvrit, ils s'arrêtèrent sur la ligne d'horizon, qu'il devenait un peu plus dur de distinguer chaque minute. D'ici, elle pouvait tout de même apercevoir le bassin en face duquel elle s'était arrêté l'autre soir, la lune le faisant scintiller doucement.

     À chaque seconde qui passait, une envie s'ancrait un peu plus en elle, qu'elle essaya peu ou prou d'ignorer. Puis soudain, sans vraiment savoir pourquoi, elle refit les mêmes exacts gestes qu'il y a trois nuits, et se retrouva comme avant, pieds nus sur le gravier. Aramis savait que c'était une idée un peu folle, qu'elle s'était déjà reprochée une fois le jour levé, et qu'elle se reprocherait sans doute le lendemain, mais quelque chose de plus fort qu'elle la faisait sortir. Un peu comme si son cerveau s'était éteint, ou sa partie rationnelle en tous cas, et que son corps avait pris les commandes.

     Plutôt que de lutter, elle s'en remit donc à cette partie d'elle qui semblait savoir ce qu'elle faisait, qui la guida dans les labyrinthes de haies, eux aussi si différents la nuit, presque effrayants. Elle entendait le vent chuchoter à travers les feuilles, lui provoquant des frissons de temps en temps. Cependant elle n'éprouvait pas de réelle peur. Elle finit par déboucher sur cet exact espace plane, mais sans en être surprise, comme si elle connaissait sa destination depuis le début.

     Aramis regarda autour d'elle. Personne. Son regard fouilla un instant les voiles d'ombre, mais ne distingua aucune silhouette. Alors elle se mit à attendre, bras sur le garde-corps, l'astre lunaire se dressant face à elle.

     Le vent... Les scintillements de la Lune... Le bruissement des feuilles... Tout était identique, le même schéma semblant se repérer chaque minute. Et survint l'élément perturbateur qui brisa la boucle.

     La comtesse releva légèrement la tête à l'entente des bruits de pas. L'homme se posta à l'exacte même place recouverte par l'obscurité.

     Ignorant toute retenue, elle lança, une fois de plus, une bouteille à la mer :

« Venez-vous ici souvent ? Je vous vois ici encore une fois. »

    Elle dit attendre quelques secondes mais comme la dernière fois, une réponse arriva.

« Quand je l'estime nécessaire... Et que la situation l'exige.

— La situation ne doit pas être au beau fixe alors.

— Parfois les choses s'avèrent plus compliquées que prévu initialement et requièrent plus de réflexion qu'il n'en faudrait.

— Il me semble comprendre. Je ne possède pas de domaine personnellement, je ne suis que porteuse d'un titre, mais j'ai eu un aperçu de la difficulté de la gestion financière et des détours de l'administration. Ce n'est pas une activité de tout repos.

— Il est vrai. Il s'agit d'un plutôt grand domaine dans mon cas, des problèmes affluent de tous côté.

— Êtes-vous un quelconque riche héritier ?

— En effet, nous pouvons le qualifier de cette façon... »

     Elle eut un sourire. Cet endroit regorgeait de personnes ayant plus d'argent qu'ils ne pouvaient en compter. Cependant elle décelait une pointe de... déception ou d'épuisement, elle ne saurait le dire, qui lui laissait penser que se situation ne devait pas être si plaisante que cela... Ou peut-être était-ce une période de bas avec des affaires moins rentables, tout était possible. Mais la personne à sa gauche parlait avec une voix empreinte d'une presque mélancolie, ce qui confirmait ses impressions. Tout semblait beau, lisse et parfait, mais dès que l'on passait de l'autre côté du rideau, l'on s'apercevait que la tristesse et l'impuissance étaient tout aussi présents. Les gens mettaient simplement un masque et se cachaient, dans un jeu de comédien parfait.

Double JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant