Chapitre 33

28 5 1
                                    

[Angélique]

      Elle triturait ses doigts en attendant la prochaine danse qui tardait à venir, se retenant d'exprimer son désespoir à haute voix. Cela faisait trois-quarts d'heure qu'elle se trouvait dans cette salle de bal et c'était déjà bien trop.

     Pourtant cette réception aurait pu être intéressante, elle était d'ailleurs partie avec l'esprit à la fête, mais la déception s'était vite imposée. Ses parents avaient choisi son cavalier et il s'agissait d'un homme plutôt gâté par la nature alors elle était partie confiante. Cependant, il s'était avéré que ce même homme l'avait abandonnée pour une autre femme, une grande comtesse aux yeux bruns. La jeune blonde se retrouvait donc avec un duc grisonnant, aussi attractif à ses yeux qu'une huître.

     Pas de Marquise à l'horizon, ni de roi, enchaînée à son partenaire qu'elle l'était – car il ne fallait pas être naïve, l'autorité paternelle possédait des espions dans la salle, qu'ils soient directement impliqués ou non. En effet le souverain était bel et bien présent, elle avait même espéré s'en approcher, mais force était de constater qu'ils resteraient dans le coin opposé de la salle.

     Il ne lui restait plus qu'à s'ennuyer ou en tout cas à ne pas passer le meilleur moment de sa vie le reste de la soirée.

    Les danses passèrent, et le buffet se dégarnit au fur et à mesure. Elle reconnaissait des gens, qu'elle ne connaissait pas réellement non plus.

      Lors d'une pause, le duc qui l'avait abandonnée s'arrêta non-loin d'eux, et Angélique utilisa ce temps pour l'observer. Elle était définitivement passée à côté de quelque chose, il n'était pas au niveau de celui qu'elle convoitait, mais il possédait un charme indéniable.

      L'homme discutait avec sa compagne. Angélique la détailla également. Elle portait une robe bleue assez modeste mais qui lui conférait une espèce de majesté assez enviable. Ses cheveux relevés en un chignon compliqué dont s'échappaient quelques anglaises, étaient d'un blond-châtain clair. Son visage s'illumina d'un discret sourire lorsque son cavalier lui susurra quelque chose à l'oreille.

     Angélique sentit la jalousie lui tordre progressivement les entrailles. Il l'avait laissée elle ? Pourquoi toutes les femmes semblaient être comblées dans leurs aventures amoureuses sans parfois rien attendre, alors qu'elle, en essayant pourtant si fort voyageait de déceptions en déceptions ? N'avait-elle donc pas le droit d'accéder à une victoire, une seule ?

« M'accorderez-vous cette danse ?

— Puisque vous le demandez » soupira-t-elle, se laissant entraîner par son cavalier.

     Lorsqu'ils eurent fini de tournoyer, la duchesse se fit tirer, assez violemment sur le côté.

« Qu'est-ce que...

— Chut, ce n'est que moi, l'arrêta Marie en posant un doigt sur sa bouche. Vous dérangerait-il d'aller faire un tour à l'extérieur ?

— Oh que non, répondit la jeune fille soulagée, à vrai dire vous me sortez d'un pétrin assez peu agréable.

— Bien. »

     Elles sortirent et marchèrent un peu, s'éloignant de l'agitation.

« Bon, souffla Marie lorsqu'elle se furent arrêtées, j'ai quelque chose à vous dire.

— Allez-y, je vous écoute, acquiesça la jeune fille avec un sourire.

— Je ne vais pas passer par quatre chemins, je... je sais que vous rendez visite à Madame de Reynel seule, je sais que vous me mentez au profit de machinations dont la teneur m'inquiète particulièrement

— Enfin, vous...

— Je n'ai pas fini, l'interrompit-elle. Vous évitez les gens qui tiennent le plus à vous pour passer plus de temps avec ceux qui vous tirent vers le bas.

— Je vous trouve bien effrontée, s'indigna Angélique. Je trouve enfin des gens avec qui je m'entends parfaitement, qui me comprennent et vous essayez de m'en éloigner ! Et pour votre gouverne, Madame de Reynel ne me tire point vers le bas, au contraire, elle me guide vers les cieux !

— Vous êtes tellement aveuglée par leurs promesses hypocrites que vous ne vous rendez pas compte que ce sont des vipères qui répandent leur poison dans votre esprit ! Ou peut-être que inconsciemment, vous le savez quand même, car vous avez reconnu la personne dont j'ai parlé. »

     Angélique leva les bras aux ciel, ses yeux roulant dans leurs orbites.

« Je n'arrive pas à croire ce que j'entends. Mais puisque nous nous disons nos vérités, voici ce que je crois. »

      Elle marqua une pause, rivant ses pupilles dans celles de Marie remplies de défiance.

« Je crois que désormais, vous vous rendez compte que mon ambition dépasse la vôtre et que je ne suis plus dans votre ombre. Vous vous apercevez que je vous échappe, que je rencontre d'autres gens bien plus utiles que vous, et vous essayez de me retenir d'accomplir mon but et d'être heureuse. »

     Au fur et à mesure de sa tirade, elle vit la défiance évoluer progressivement vers quelque chose qui ressemblait à de l'horreur dans les yeux de son adversaire.

« Tout cela vient de confirmer mes doutes. Vous commencez à parler comme eux, ils vous changent ! Vous devenez une personne que je ne reconnais plus, déclara Marie, sa voix tremblant sur les derniers mots. »

    La jeune duchesse campa sur sa position. Elle n'en revenait pas, la personne qu'elle avait cru le plus à ses côtés la trahissait lâchement de la sorte.

« Très bien, capitula Marie. Vous n'êtes manifestement pas décidée à entendre ce que je vous dis, ça ne sert à rien. Je veux juste que vous sachiez qu'il y a des gens meilleurs que ceux que vous fréquentez, et que vous seule pouvez choisir de sortir de ce dont vous êtes embarquée. »

     Angélique regarda s'éloigner celle qui n'était désormais peut être plus son amie jusqu'à ce qu'elle disparaisse entre les bosquets. Que signifiait cette révolte soudaine ?

Double JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant