Chapitre 36

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[Angélique]

     L'on ne se rendait compte de la place qu'occupait une personne dans notre vie que lorsque celle-ci disparaissait. En effet, depuis leur dispute il y a trois jours de cela Marie ne l'avait pas recontacté et c'était comme si elle s'était évaporée, Angélique ne l'avait point revue. Cette absence laissait un sentiment de vide dans ses journées. C'était... étrange.

     Ses journées étaient donc mornes et peu remplies. L'ennui la gagnait et depuis s'être chamaillée avec son ancienne amie, elle n'avait plus eu non plus de nouvelles d'Élisabeth. Le flux d'adrénaline qu'elle ressentait en continu ces dernières semaines s'était donc tari plus rapidement qu'elle ne l'aurait cru possible, la laissant complètement désoeuvrée.

     Légèrement énervée par cela, la jeune fille prit la décision d'aller toquer à la porte de la marquise pour bousculer un peu les choses qui avaient désagréablement ralenties.

     Elle tapa son code sur le panneau de bois. Angélique attendit quelques secondes, puis plusieurs autres avant de recommencer, plus fort cette fois. Elle dut réaliser cette action une fois encore avant qu'un bruit ne se fasse entendre et qu'une dame de compagnie de la Marquise ne vienne ouvrir la porte, assez violemment.

« Que désirez-vous ? »

     Le ton sec de la femme déstabilisa Angélique qui perdit ses mots, et par le même coup son assurance.

« Alors ? » insista la femme, visiblement impatiente.

« Hum, je, je viens voir Madame de Reynel.

— Vous avez rendez-vous ?

— Quoi ? Euh non. »

     Les yeux d'Angélique s'écarquillèrent en même temps que ceux de la dame de compagnie de se lever au ciel. Elle avait besoin de rendez-vous ? Fallait-il réellement qu'elle explique qui elle était ?

« Dans ce cas...

— Bon, de quoi s'agit-il ? clama une voix de l'autre côté du mur.

— Rien Madame, simplement une certaine – quel est votre nom ?

— Angélique, Angélique d'Alincourt.

— Une certaine Angélique d'Alincourt qui demande à vous rencontrer. »

     S'ensuivit une réponse inintelligible à l'oreille de la jeune fille. L'ouverture se fit alors plus grande.

« Entrez » grommela la femme.

      La porte faillit se refermer au nez de la jeune duchesse avant qu'elle ne puisse entrer. Elle se faufila dans l'espace qui lui restait et fit soudainement face au regard inquisiteur d'Élisabeth.

« Alors ? demande-t-elle, un sourcil levé.

— Comment ?

— Eh bien, qu'y a-t-il de nouveau ?

— Euh rien, répondit Angélique complètement désemparée.

— Si vous n'avez aucune informations à m'apporter, que faites-vous ici alors ?

— Je, euh, je voulais savoir quand est-ce que notre plan reprendrait.

— Oh, dans ce cas, reprit la Marquise d'une voix doucereuse, les choses se précipiteront bientôt. Maintenant, veuillez raccompagner Mademoiselle d'Alincourt à la porte. »

      Élisabeth lui adressa un petit sourire tandis que la jeune fille se faisait pousser vers la sortie sans pouvoir intervenir. Sans qu'elle n'ait comprit comment, elle se retrouvait dehors avec seulement une parole très brève d'au revoir.

      Angélique resta plusieurs secondes dans le couloir à essayer de comprendre ce qu'il venait de se passer. Elle gardait la désagréable impression de s'être fait jeter dehors. La Marquise avait sûrement ses raisons qu'elle respectait mais sa dame de compagnie était très antipathique. Sa façon d'essayer de l'éconduire à tout prix lui laissent un goût amer dans la bouche.

      Elle jeta un dernier coup d'œil à la porte avant de partir. La jeune fille se dirigea vers les Jardins à la recherche d'une occupation. Un petit sourire satisfait s'afficha sur son visage lorsqu'elle arriva sur la place presque toujours remplie de monde. Elle aimait cette frénésie, cette agitation. Une vie morne pourrait être la pire chose qui lui arriverait.

      Malheureusement, la première personne qu'elle vit réellement fut Marie qui se tenait en plein milieu de son champ de vision. Angelique secoua la tête, les lèvres pincées et reprit son exploration visuelle de l'endroit. La seconde personne avec qui elle ne désirait point passer son temps venait à sa rencontre.

« Bien le bonjour Mademoiselle !.

— Bonjour à vous aussi Monsieur d'Ableiges. »

      C'était intriguant la manie qu'il avait d'exprimer toujours une incrédulité enfantine sur son faciès, qui lui donnait l'air d'un enfant.

« Comment allez-vous en cette belle matinée ?

— Bien, je vais bien, répondit la jeune fille, abattue par ce manque d'originalité. Toujours les trois mêmes phrases d'introduction. Elle pouvait à coup sûr prédire la dernière.

— Que faites-vous en ce moment ? »

      Et voilà, tellement prévisible. Prenant son mal en patience, elle improvisa une réponse.

« Rien de particulier, je flâne au gré des allées.

— Oh je vois. »

     Il commença alors à se balancer, remuant quelques cailloux avec son pied.

« Qu'y a-t-il ? demanda la duchesse d'un ton sec.

— Je sais que cela peut sembler intrusif mais je... j'ai eu des échos et je crois avoir compris que vous avez dansé avec un duc que je connais bien à la dernière fête du roi et, enfin... je cherchais à savoir si il s'agirait de votre futur mari. »

      Angélique inspira profondément.

« Bon, je vais être honnête avec vous. J'ai supporté vos questions jusqu'ici, et ai traité vos requêtes avec la plus grande patience dont on pourrait voir fait preuve. Cependant j'en ai assez. Voilà, c'est dit. J'en ai assez de vous, de vos manies, de vos questions franchement déplacées dans leur insistance, de votre obsession à mon égard. Vous ruinez continuellement ce que j'essaie de faire, et vous n'êtes même pas capable de vous en rendre compte. La seule chose que vous pourriez faire de bien dans votre existence serait de disparaître de la mienne ! »

     Il la fixa, son état de choc clairement apparent. Elle n'avait jamais haussé le ton en sa présence.

« Bien, si tel est votre souhait. »

     Et il repartit là d'où il était venu, cachant non sans mal ses yeux écarquillés, qu'elle imaginait aisément se remplir de larmes sous l'émotion.

      Il s'agissait du deuxième déballage de vérités qu'elle opérait en moins d'une semaine. L'un sous le coup de la trahison, l'autre sous celui de l'exaspération. C'était comme si son monde se retournait contre elle. Tous ceux qu'elle connaissait semblant vouloir lui nuire ou l'empêcher d'accéder à ce qu'elle désirait vraiment.

      Elle balaya l'espace de ses yeux, désormais assombri par un voile de dépit et tourna le dos à l'endroit avec l'intention de rentrer. Et alors qu'elle marchait vers sa destination, elle jurerait avoir senti un regard désapprobateur la scruter de l'autre bout de la place.

Double JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant