Chapitre 45

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[Angélique]

     Une fois de plus, elle entra dans la salle de dîner. Cette fameuse salle, intégrée dans l'un des couloirs de l'aile royale, que tout le monde rêvait de voir. Et elle avait une importance telle aux yeux du roi, qu'elle, Angélique d'Alincourt, revenait siéger à cette assemblée à chaque occasion.

     La jeune fille embrassa la pièce du regard. Les tentures rouges et les ornements dorés suintaient l'opulence, lui donnant l'impression réconfortante de se trouver à la maison. La grande table sculptée trônait au milieu, prête à accueillir la jeune duchesse et ses projets.

     Elle dressa sa nuque jusqu'à la faire craquer, relevant son menton tandis qu'un rictus prenait sa place sur son visage. Ce soir, ce soir son plan magistral venait à son terme.

     Elle vint se placer devant l'une des chaises richement sculptées, fixant des yeux les volutes gravées dans le bois, se répétant tout ce qui s'offrirait à elle une fois les faveurs du roi obtenues. À chaque pensée son sourire s'élargissait un peu plus. Lorsque le souverain ouvrirait enfin les yeux face à ses sentiments véritables, qu'il lui avouerait enfin cette passion réciproque, sa vie deviendrait telle qu'elle l'avait toujours rêvée.

     Angélique se trouverait l'une des femmes les plus admirées de la Cour de par son statut. Elle occuperait la place enviée de toutes. Ses journées se composeraient de balades au bras de son amour, de jeux au milieu des bassins en sa compagnie, et de soirées à contempler les feux d'artifices qu'il aurait ordonnés en son honneur. La jeune duchesse serait idolâtrée, elle se trouverait au centre de la Cour, là où sa place était depuis le début.

     Pour lui prouver la force du lien qui les unissait, le souverain la couvrirait de cadeaux. Tant et si bien qu'elle pourrait se baigner dans toutes ces robes et diamants qu'il lui offrirait.

     Un bruit interrompit ses rêveries alors que les courtisans se redressaient tous à l'unisson. Cela ne pouvait signifier qu'une chose. Sa proie venait d'arriver. Il donna son accord et tout le monde s'assit, dans une parfaite synchronisation.

     En s'exécutant, Angélique aperçut son adversaire, la fameuse comtesse déchue. Celle-ci portait aujourd'hui une splendide robe bleue et blanche. Si cette robe était plus riche que celles portées jusqu'à présent, elle restait d'une simplicité étonnante comparée aux rares autres vêtements féminins de ce soir. La jalousie revint titiller les entrailles de la duchesse. Comment se faisait-il malgré l'écart évident de richesse, que cette paysanne arrive à ne pas détonner dans le tableau et même à y trouver sa place ? Angélique croisait le fer avec une illusionniste de talent.

     Mais tout de même... Le tissu porté par sa rivale couplé aux broderies d'or qui le recouvrait demeurait un ensemble onéreux. Elle avait forcément de l'aide pour l'appuyer. Quelqu'un lui apportait son soutien financier afin de la projeter dans les hautes sphères. Mais pourquoi ? Que pouvait bien y gagner ce mystérieux bienfaiteur ? Car si la jeune fille était sûre d'une chose, c'était qu'aucun homme ici ne dépenserait son argent de manière désintéressée. Il y avait forcément une raison.

« Loin de moi l'idée de douter de vos capacités, annonça Angélique à sa voisine, mais il semblerait que cette courtisane des bas-étages continue de tourner autour de Son Altesse.

— Ne vous souciez pas de ceci, répliqua Élisabeth, ce ne devrait plus être un problème.

— Que voulez-vous dire ?

— Enfin, voyez comme elle se comporte. Ses yeux sont baissés, fuyants je dirais. Elle évite minutieusement de regarder dans la direction de notre objectif. Son dos est légèrement voûté et vous remarquerez que ses mouvements sont assez frénétiques. De plus, ce duc de l'autre côté de la tablée la fixe presque en continu. Je ne serai pas étonné s'il s'agissait d'un autre amant, ou peut-être de son fiancé. Voyez la bague qu'ils portent tous deux à l'annulaire. À mon avis il l'a surprise ici et cela ne lui plaît point du tout. »

Maintenant que cela lui était rappelé, elle se souvenait du lien qui unissait son ancien prétendant à la paysanne. La savoir dans cette situation ne put que lui arracher un sourire. Angélique plissa les yeux, recherchant les détails que venait de lui rapporter la marquise. Elle ne l'aurait jamais remarqué avant mais en effet, maintenant qu'elle y faisait attention, elle décelait toutes ces petites actions furtives.

« Ah oui, vous avez raison ! Êtes-vous certaine que cela correspond à ce que vous pensez ?

— J'en suis sûre. Lorsqu'on prend un peu le temps de réfléchir, tout devient clair ; faites-moi confiance. Par ailleurs, vous devriez chuchoter, toute la tablée doit vous avoir entendue. »

La jeune duchesse se replia au fond de son siège satisfaite. Si Élisabeth le disait, elle était tranquille. Même si toutefois cela ne ferait pas de mal d'évincer complètement cette rivale impromptue.

Angélique eut enfin l'occasion de passer à l'action lorsque les derniers desserts eurent disparu dans les assiettes. L'horloge sonna et l'on se leva pour saluer ses confrères. Tandis que la marquise conversait avec un autre duc, elle s'éclipsa et se dirigea vers le souverain. Son coeur commençait à cogner dans sa poitrine, tandis que des gouttes de sueur froides dévalaient le long de sa colonne.

Les quelques personnes accaparant l'attention du roi le saluèrent et ce fut enfin son tour. Elle essuya ses paumes moites dans ses jupons. Il se tourna vers elle, et son regard la frappa de plein fouet. Ses joues rougirent instantanément tandis que les mots se coinçaient dans sa gorge.

« Mademoiselle ? Je vous écoute. »

Angélique se reprit tant bien que mal.

« Je... je voulais vous dire que cette soirée était délicieuse, balbutia-t-elle.

— Vous me voyez ravie qu'elle vous plaise. Avez-vous quelque chose d'autre à me dire ?

— Euh, eh bien oui. Je voulais vous avertir que je pense que vous n'êtes pas tout à fait en sécurité.

— Tiens donc, rétorqua-t-il en haussant un sourcil. Et qu'est-ce qui vous a mené à cette conclusion ?

— Je sais que les personnes que vous invitez ici sont des gens en qui vous placez votre confiance et qui sont proches de vous. Cependant je sais de source sûre que certaines ne sont pas ce qu'elles prétendent être. Vous ne me croirez peut-être point mais je peux vous assurez que Madame de Coligny est une usurpatrice. »

     Angélique le vit se crisper devant elle. Enhardie par cette réaction, elle enchaîna :

« Elle prétend être une dame de haute extraction alors qu'elle n'est en réalité qu'une comtesse des bas-étages. Sa famille se trouve depuis bien longtemps en disgrâce et sans le sous. Je ne sais qui lui apporte son aide mais elle est à mon avis embarquée dans quelque machination cherchant à vous nuire. Elle n'en a sûrement qu'après votre argent et n'aura cure de vos sentiments. Je vous conseille de l'éloigner de vous au plus vite. »

     Un petit silence emplit l'espace tandis que le roi semblait réfléchir. Les pièce du puzzle devaient s'imbriquer dans son esprit et la réalisation, de le frapper de plein fouet. L'un de ses poings était si serré qu'elle apercevait les jointures en blanchir. La jeune fille sourit, attendant désormais les remerciements ainsi que la déclaration qui en suivrait naturellement. Il ouvrit la bouche. Angélique se prépara à ce moment qu'elle attendait depuis si longtemps. Cependant la voix de Son Altesse s'avéra aussi froide qu'une douche glacée.

« Très bien. Permettez-moi à mon tour de vous donner un conseil ou deux. Apprenez à réfléchir avant de parler et sortez votre nez de ce qui ne vous regarde pas, il en sera mieux pour tout le monde. Sachez que les mots ont autant de conséquences que les actions. Et entacher la réputation d'une jeune femme alors que vous ne savez manifestement pas de quoi vous parlez en aura de lourdes. L'offenser elle, c'est m'offenser moi. Vous ne remettrez plus jamais ne serait-ce qu'un orteil en cette pièce. Dans le cas contraire mes gardes seront prêts à vous accueillir. Au revoir Mademoiselle. »

     Angélique recula comme s'il l'avait frappée. Sa gorge se serra et ses yeux s'embuèrent de larmes. Ces dernières troublèrent son champ de vision alors qu'elle s'élança en courant vers la sortie.


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