Chapitre 18

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[Angélique]

      Elle soupira mentalement à ces mots. Bien évidemment, il fallait que ce soit cela qu'il lui demande. Maintenant il lui incombait de trouver une manière polie de refuser car, même s'il l'énervait, il existait tout de même un seuil de courtoisie à respecter.

      Quand elle affirmait que Jean-Eudes avait un don pour la mettre dans des situations impossibles, l'on pouvait être sûr que c'était vérifiable. Cet homme était en quelque sorte un oiseau de mauvais augure. Le pire étant sûrement qu'il n'en avait aucunement conscience.

« Malheureusement, j'ai reçu une autre demande un peu avant la vôtre que j'ai acceptée... Vous m'en voyez désolée, mentit-elle sans réel regret.

— Oh je vois... Navré de vous avoir importuné, à une fois prochaine peut-être.

— Peut-être. »

     Et voilà, simple comme bonjour, l'excuse classique employée. Angélique se remit en route, atteignant rapidement son chez-elle. Elle se faufila dans l'entrée et rejoignit sa chambre. La nuit n'était pas encore tombée, et ses parents, eux, toujours en vadrouille.

      Cela lui semblait bizarre. Non pas de refuser des invitations, cela elle en avait l'habitude, mais l'idée de se rendre seule à une soirée dansante, surtout de l'ampleur de celle à venir lui semblait plus saugrenue. Elle avait toujours été accompagnée, dès l'âge requis obtenu pour participer à ce type d'événement.

     Mais la Marquise devait savoir ce qu'elle faisait, Angélique lui faisait entièrement confiance. Après tout cela pourrait être amusant, elle n'avait jamais essayé. Tout ce qu'elle espérait, c'était d'obtenir une danse avec le roi.

      La scène chimérique se repassait en boucle dans son esprit, à tel point qu'un scénario bien ficelé s'était établi, qu'elle connaissait par cœur. Il viendrait pour la dernière danse, elle s'inclinerait, et il l'inviterait à virevolter à ses côtés au milieu des autres couples. Elle rendrait les dames jalouses et impressionnerait les hommes qui se mettraient soudain à la regarder.

       Et après, qui sait, ils se reverraient avant la fin et il lui confesserait un amour retenu jusque-là. Elle lui répondrait en lui avouant qu'elle partageait ses sentiments, et le vent les mèneraient peut-être plus loin, dans une magnifique passion. De nombreuses autres courtisanes voulaient se rapprocher du roi dans le but unique de devenir sa maîtresse, probablement plus motivées par les activités de la chambre à coucher et le prestige engendré que par les autres aspects, mais Angélique, elle, n'y pensait à peine. Ce qu'elle voulait, c'était une relation romantique, pleine d'amour et de secrets, de tendresse et d'attention. Elle le voulait rien que pour elle. De toute façon, il était de notoriété publique que la reine ne l'intéressait plus, celle-ci devenant trop distante. De toute façon, la souveraine ne pouvait rivaliser.

     Plongée dans ses rêveries, elle finit par s'endormir en étoile sur son lit. Des coups sur la porte réveillèrent la jeune duchesse, exécutés par une servante venue la prévenir que l'heure du dîner était arrivée. Elle frotta ses yeux, s'assura de posséder une apparence présentable et rejoint la table à laquelle étaient déjà installés ses parents.

     La nourriture fut rapidement servie, et les trois se mirent à manger en silence, chacun les yeux rivés sur son assiette, comme d'habitude. Jusqu'à ce que l'un d'entre eux ne brise le silence.

« Alors ma fille, avez-vous passé une belle journée ?

— En effet père, elle fut plutôt agréable.

— Qu'avez-vous fait ?

— Peu de choses, je suis principalement restée ici.

— Oh vraiment ? Rien de particulier n'est arrivé ? »

     Cette fois-ci la jeune fille releva la tête, les sourcils froncés. D'habitude il n'insistait pas autant.

« Il y a-t-il une chose que je devrais savoir ?

— Eh bien, j'ai entendu dire que l'on vous a proposé de vous accompagner au bal de la semaine prochaine, n'est-ce pas ?

— Oh, euh... j'ai dû décliner cette proposition. »

     Cette fois ce furent les sourcils de son père qui se froncèrent.

« Pourquoi donc ?

— Parce que... j'avais déjà accepté une autre demande, répondit-elle, peu sûre du mensonge dans lequel elle s'enfonçait.

— Parfait, qui est-ce ? L'un de vos prétendants ?

— Il s'agit de... d'une surprise, dit-elle ne sachant que répondre. Vous le découvrirez le moment venu.

— Très bien, nous verrons. J'attendrais de le voir alors.

— Nous ne pouvons attendre » renchérit sa mère.

     Angélique esquissa un sourire, essayant de mesurer ce dans quoi elle s'embarquait. Elle ne pourrait se permettre de les décevoir le jour venu, car elle sentait soudainement un couperet au-dessus de sa tête. Une privation de sortie, des règles plus strictes ou une surveillance accrue s'appliqueraient, l'empêchant de poursuivre son rêve. Les rouages de son cerveau s'activèrent donc tout le reste du repas pour essayer de trouver la solution la plus profitable.

     Une fois son assiette finie elle retourna dans sa chambre et s'attela à écrire un court message, qu'elle donna ensuite à une domestique chargée de le mener à bon port. Elle n'avait pas le choix, et cela allait quelque peu contrecarrer ses plans, mais il lui allait bien falloir brièvement se coltiner Jean-Eudes si elle voulait limiter les dégâts.

Double JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant