La Rose Éternelle 1, Draggilys

Prologue

Et voilà, tout est fini. Cette maudite Chose, la source de nos blessures, notre talon d'Achille pendant tout ce voyage, elle est enfin à moi. J'ai l'avenir du monde entre les mains. Mais je n'en ai que faire. Ce monde ne nous a apporté que des malheurs, la mort et des sacrifices irréversibles. Pour quelles raisons devrais-je le remercier en lui rendant la Paix ? M'avoir laissé en vie suffisamment longtemps pour qu'il arrive à ses fins ? M'avoir fait rencontrer mes compagnons de route ?

J'étais très bien chez moi avec mes parents, mon frère et ma sœur, à jouer tantôt à la poupée, tantôt aux cartes, et à aider mon père dans son atelier. Si le monde avait voulu me faire plaisir, voilà ce qu'il aurait fait. Me laisser avec ce bonheur, avec cet endroit rassurant. J'ai longtemps cru après notre départ que mes envies d'exploration s'étaient développées mais c'était un faux sentiment guidé par la haine d'un idiot pour m'amener jusqu'à lui. Tout ce que j'ai vécu est faux.

Je suis seul, comme au premier jour, allongé au sol à ne pas savoir comment survivre. J'aimerai crier pour que l'on me vienne en aide mais aucun son ne sort de mes cordes vocales endolories. Je risque un regard à ma droite mais tout est flou. Seules les constellations semblent m'autoriser à les voir. Elles sont si claires dans un environnement si obscur !

Je crois me souvenir que j'ai quitté le groupe sur un coup de tête, cette Chose à la main, prêts à en découdre avec un objet inanimé. Malgré ses pouvoirs magiques qu'elle a bien sûr retenu pour m'épargner une fois de plus, elle m'a salement amoché. Je voulais une descente rapide mais elle en a décidé autrement.

Mon souffle est de plus en plus compliqué à prendre, comme si l'air ne se laissait plus apprivoiser par mes poumons qui l'ont tant retenu et fait souffrir. Ma tête est devenue un ballon dans lequel des enfants tapent pendant des heures. Mon corps n'est plus qu'un amas de chair et d'os encore vivant mais plus très vivace. Mes mains sont rouges à cause de cette Chose qui a déteint sur mes doigts fins et amaigris. Mon ventre gargouille, donnant le loisir à la grotte d'amplifier le son sur ses parois. Cela sonne comme une détonation.

Pourtant, personne ne vient. Même pas un papillon ou une luciole. Le silence m'encercle tandis que je laisse mes paupières se fermer doucement. Je me sens comme dans une gigantesque bulle anéchoïque qu'il est impossible d'éclater.

Elle me regarde. Me nargue. Elle est perchée sur son petit rocher gris éclairé par deux demi Lunes qui se rejoindront d'ici peu pour ne former qu'une seule et même entité. Blanche. Pure. Tout ce que j'étais et que je ne suis plus. Trop de sang a coulé sur mon chemin. J'en ai moins sur les mains que certains de mes camarades mais tous ces morts hantent mon esprit, ne me laissent aucune nuit tranquille. Voilà encore un remerciement pour avoir ramené la Paix à ce monde je suppose...

Je prie tous les dieux et les esprits que j'ai pu rencontrer d'abréger ce cauchemar d'entre-deux. Il faut qu'ils se décident. Prenez mon âme ou laissez-la moi mais par pitié, dépêchez vous de choisir !

Je vois une ombre osciller à l'entrée de la grotte. Sans doute une hallucination, comme j'en ai depuis que je suis arrivé dans ce fichu pays. Elle veut me toucher mais elle se heurte à la bulle qui est bien réelle et recule en tendant la main. Un flash bleu, presque blanc, m'éblouit, le choc fait siffler mes oreilles. Une main sur ma cuisse. Une main sans épine, douce, attentionnée, respectueuse. Je commence à distinguer un visage que je ne reconnais pas de suite. C'est sa voix avant que je sombre dans le noir qui m'éclaire :

- Reste là, Ilkka.

Un silence assourdissant m'accompagne dans ce long tunnel. Avant de tomber, j'entends plus clairement cette voix qui m'a tant de fois parlé, sauvé et réconforté :

- Reste là.