Chapitre 3, La taverne

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La chaise sur laquelle je suis assis est bancale, à l'image de mes pensées. Ne t'apitoies pas sur mon sort. S'il te plaît. Les paroles de mon père raisonnent dans mon cerveau. Elles se cognent sur ma boîte crânienne avec autant de force que possédait son regard. Si ces deux phrases avaient le pouvoir de se matérialiser, elles frapperaient encore et encore mon corps pour en sortir et s'évaporer. Elles s'agrandiraient et rentreraient en collision avec mon visage, hier encore innocent. Je remue mécaniquement ma boisson. Une sorte de purée liquide de fruits aux couleurs chaudes. Je ne l'ai pas touchée depuis que l'on me l'a servie. Un journal est posé sur la table d'à côté avec un portrait du ministre, qui sans soute s'exprime dans l'article à la place de la reine.

Je l'étale devant moi et commence ma lecture :

« Comme chaque année, après le Grand Marché du Printemps, se tiendra dans la salle de bal la Nuit. Partout dans la ville, se déroulera la célébration de la Rose Éternelle, animée cette fois-ci par les musiciens de la troupe Kiöky, venue tout droit d'Hikaru-Peji spécialement pour l'occasion. Notre cher ministre sera présent lui aussi au concert, ainsi que la reine, qui nous fera l'honneur de sa présence pour la première partie. Elle viendra sur scène présenter les artistes puis retournera au palais afin de préserver sa santé devenue de plus en plus fragile ces derniers temps. »

J'arrête ici ma lecture, perturbé par un homme d'un âge avancé venu s'installer à ma table. Il fixe attentivement sa bière, comme si elle lui délivrait un message qu'il aurait du mal à décoder. Son immobilité me fascine tellement que lorsqu'il bouge, je sursaute. Ses yeux sondent les miens :

- Suis-moi.

Comme mon père, son invitation sonne comme un ordre. Je regarde partout autour de moi, cherchant à m'accrocher à la moindre chose pour canaliser l'angoisse qui monte en moi à une vitesse vertigineuse. La rue devient tout à coup bruyante, assourdissante même. Je mets mes mains aux oreilles. Je suis presque soulagé lorsqu'il ouvre la porte d'une calèche. J'y monte sans réfléchir. Pris d'une idée folle, je regarde par la fenêtre, prêts à affronter la réalité. La rue est vide. Voilà la réalité. Le bruit dans ma tête, cette angoisse incontrôlée étaient le fruit de mon imagination.

Je risque un regard vers l'inconnu. Toujours impassible, il fixe un point non loin de ma tête, sans sourciller. Je ferme les yeux, espérant rêver. Mais lorsque mes paupières se séparent l'une de l'autre, je suis toujours dans cette calèche qui maintenant roule tranquillement vers une destination qui ne m'a pas été communiqué.

Je laisse passer le trajet, l'esprit perdu dans le paysage que je connais par cœur défiler. Nous arrivons dans la cour du palais. La seule pensée qui me vient en tête est que ma mère a eu un problème est qu'on est venu me chercher dans cette taverne. Si c'est le cas, je ne sais pas par quel miracle on m'a trouvé.

Le vieillard tape deux coups sur la paroi derrière lui et la calèche s'arrête instantanément. Il me fait signe de descendre dans ce décor que je connais depuis ma plus tendre enfance : le grand jardin étoilé. Sans un mot de plus, il m'entraîne vers ces escaliers que tous les Vradilleniens rêve d'emprunter à cause de leur raffinement. Les deux gardes s'écartent et nous laissent entrer dans les appartements privés de la reine.

C'est à ce moment là que l'ampoule qui manquait à la guirlande de mon cerveau s'éclaire. Ce n'est pas pour ma mère que je suis ici, mais bien pour moi.

Il toque à une porte, plus discrètement cette fois. Une jeune femme vient ouvrir :

- Je vous laisse avec la reine.

Mon cœur s'emballe. Pourquoi je dois voir la reine ? Qu'ai-je fais ? Suis-je en danger ? D'un geste simple, elle balaye toutes mes questions :

- Prends place en face de moi, Ilkka.

La Rose Éternelle 1, DraggilysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant