Chapitre 15, Départ précipité

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Deux semaines plus tard

Tancah ayant annoncé à Mnoukh sans me consulter que nous partions aujourd'hui même, je lui lançais à chaque fois qu'elle se tournait vers moi de regards qui disaient plus de reproches que des mots. J'avais retrouvé de la stabilité aux côtés de notre hôte, des repères que j'avais perdu. Je sais bien que ses repères, à elle, sont différents des miens, mais elle aurait pu prendre sur elle autant que j'ai pris sur moi depuis Eschenwald. Mnoukh me tire de ma rêverie :

- Je ne vous ai pas fait venir dans l'écurie par hasard. Je deviens vieux, je n'arrive plus à m'occuper des quatre chevaux.

Il marque un temps d'arrêt, où la discussion avec mon père avant mon départ me revient en mémoire :

- Ilkka, je crois que tu as tissé des liens forts avec Nelpris. Pareil pour toi, Tancah, avec Népao. Elle t'as appris tout ce que tu sais sur les chevaux. Partez avec eux. Ils seront mieux avec vous que s'ils me voient mourir. Je veux qu'ils soient confiés à quelqu'un qui ne leur fera pas de mal.

Avant que je me mette à pleurer et à le prendre dans mes bras pour le remercier, il nous désigne les chevaux :

- En selle, mes enfants, vous avez votre votre destin à accomplir !

XXX

Cela fait longtemps que le village n'est même plus un point sur l'horizon derrière nous. La forêt nous avale dans son ombre. Les branches craquent sous les sabots. Les oiseaux chantent. Mais une odeur dérange mes narines. Si la peur pouvait en avoir une, je pense que c'est cette odeur qu'elle prendrait. Celle du bois séché, mélangé à celle du sang.

Lorsque j'avais étudié la carte du royaume avec Mnoukh, il m'avait montré Asgard :

- Tu vois, là, c'est la capitale. Et nous (il avait déplacé son doigts de quelques centimètres), nous sommes là. Ce n'est pas très loin à vol d'oiseau, mais à cheval, vous irez plus vite qu'à pieds. Les routes sont très praticables.

Si cela n'avait tenu qu'à moi, nous serions passé par cette route. Nous aurions eu des endroits chauds où dormir, de l'eau et de la nourriture facilement... Mais Tancah en a décidé autrement. En oubliant, évidemment, de me tenir aux faits de ces plans. Comme si le silence qui planait entre nous lui murmurait mes pensées à l'oreille, elle me lance, sans se retourner :

- Nous évitons une embuscade si nous restons à couvert.

Comme je ne réponds pas, elle poursuit :

- Tu as entendu comme moi, tu n'es pas le seul à chercher la Rose, alors si tu tiens à ta vie, reste derrière moi.

XXX

Notre halte me fait le plus grand bien. Je suis installé sur un rocher, près duquel Nelpris et Népao broutent. Tout est paisible, verdoyant, lisse, chaud, réconfortant. Tout sauf Tancah, qui monte la garde, alors qu'elle doit être toute courbaturée et ankylosée par notre longue route.

Elle reste debout, aucun de ses muscles ne bouge, seuls la pointe de sa tresse frémit à chaque souffle de vent. Mes yeux se ferment seuls. Je me laisse emporter par la légèreté de ce paysage. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, dans un état de semi-somnolence, mais une main ferme me secoue comme un prunier pour me réveiller.

Lorsque j'ouvre les yeux, cinq cavalier sont à quelques mètres de nous. Assez loin pour ne pas distinguer leurs visages, mais assez près pour voir clairement la Rose brodée sur leurs tapis de selle et sur leurs armures. Tancah défait les nœuds des longes. Je prie pour que les chevaux ne s'en aille pas. J'aimerais pouvoir me lever, mais je suis comme paralysé par la peur.

Leurs vêtements et leurs armures donnent clairement leurs fonctions. Le noir et la Rose. Ce sont d'eux que le groupe de la grotte parlait. Je n'avais pas pris cette menace au sérieux jusqu'à cet instant. J'étais toujours persuadé de pouvoir discuter et trouver un arrangement. « Trop pacifiste ! » m'aurait raillé Tancah. Je n'ai pas le temps de me demander si elle aurait eu raison.

Elle pose discrètement sa main sur sa cuisse pour vérifier que l'arme qu'elle y cache est bien attachée, puis se prépare à dégainer celle visible à sa ceinture. Sans même descendre de cheval, l'un des cavaliers s'avance :

- Notre prince vous cherche.

Sa voix glaciale nous intime de les suivre sans poser de questions, et alors que, comme hypnotisé, je commençais à solliciter mes jambes pour me lever, Tancah s'interpose :

- Dis à ton prince qu'il peut toujours espérer. Nous ne voulons pas la même chose que vous.

Elle n'a pas tors. Nous voulons simplement – enfin, je veux simplement – récupérer la Rose et la donner à quelqu'un qui saura bien s'en servir, alors qu'eux la cherchent pour un prince qui n'a pas le courage d'y aller lui-même. Le cavalier avance son cheval jusqu'à Tancah, qui ne recule pas.

- Soit vous nous suivez, et tout se passera bien, soit...

Il n'a pas le temps de finir. Tancah s'est élancée vers lui, lui assenant un coup de poignard sur l'extérieur du genoux. Le cheval, paniqué, cabre avec une telle puissance que son cavalier est éjecté, aussitôt tué par Tancah qui se rue déjà sur son adversaire suivant. Je récupère Nelpris et Népao avant qu'ils ne s'enfuient, mais ils ne bougent pas.

Le même schéma se répète pour les deux cavaliers suivants. Le premier est projeté au sol avant qu'elle n'ai pu le blesser. Le bel étalon blanc a dû être effrayé par les mouvements rapides de Tancah. Je n'ai pas le temps de voir le troisième, puisque je me perche sur Nelpris, prêt à m'élancer dans la mêlée pour récupérer Tancah.

Les deux soldats restants sont immobiles. Ils laissent Tancah reprendre son souffle, le sourire aux lèvres. Ils ne semblent pas lui faire peur, bien au contraire. Elle sort sa dague jusque là cachée sur sa cuisse, et échauffe son poignet gauche par quelques moulinets rapides, tout en s'avançant vers celui qui vient de descendre de cheval.

Ils se jaugent. Son épée est fine, mais solide. Le bruit métallique qu'à laissé échapper de fourreau en dit long sur ce qu'il compte en faire. Elle trottine vers lui, tandis qu'il ajuste sa position. Tancah pensait esquiver l'épée et lui donner le coup de grâce mais c'est elle qui se récolte sa première blessure à l'épaule. Je n'ai pas le temps d'en voir plus, enragé par les rires du soldat resté à cheval.

Elle pousse un grognement bestial et plante sa dague au creux de la clavicule, ne laissant aucune chance de survie. Le dernier, qui est sans doute le chef, n'a toujours pas bougé.

- Tu es douée à pieds, mais à cheval, qu'est-ce que tu vaux ?

Elle s'approche de Népao et se hisse dessus en marmonnant à mon attention entre ses dents serrées par la douleur de sa blessure :

- Ne bouges pas tant que c'est pas fini.

Les oreilles de Népao se redressent d'un coup, comme si elle savait que Tancah allait lui demander de faire ce qu'elle maîtrisait le mieux. Se battre. Tuer. Sans attendre les ordres, la jument s'élance, fonce dans l'autre cheval tête baissée, et cabre sur lui, finissant de le déstabiliser. Il roule sur son cavalier, se relève, et détale, le soldat accroché à sa monture seulement par l'étrier autour de sa cheville, le corps traînant au sol.

Nous nous élançons, bride abattue, à travers la plaine, jusqu'à ce que nos forces nous quittent.

La Rose Éternelle 1, DraggilysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant