Chapitre 8, Le rocher mystère

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L'air frais qui accompagne le soleil couchant me chatouille les joues. Les montagnes ne sont pas loin. J'en distingue les sommets à travers les nuages blancs. En cette saison, ils sont dépourvus de neige mais cela n'enlève rien à leur beauté et leur pureté. Tancah a décidé de couper à travers les bois pour écourter le trajet. Asgard se trouve derrière les montagnes, il nous faudra donc plusieurs jours pour les traverser.

Elle avance à un rythme trop rapide pour moi, et j'ai beau la supplier de faire une pause, ou juste de ralentit, rien à faire. Elle se contente de m'ignorer. Une vive douleur se manifeste sur le côté de mon ventre, j'ai de plus en plus de mal à respirer. Je parviens par je ne sais quel miracle à la rattraper :

- S'il te plaît, arrêtons nous un peu, j'ai mal partout !

Elle s'arrête, effectivement, mais pas pour faire une pause :

- Tu crois vraiment que j'en ai quelque chose à faire de tes jérémiades ?

- C'est toi qui a insisté pour partir avec moi, je te rappelle ! Et voyager à deux, cela signifie aussi prendre soin de l'autre. Pas penser seulement à soi !

Elle me plaque contre un arbre tellement fort que j'en ai le souffle coupé. Son bras sur ma gorge n'arrange pas ma prise d'air :

- Je ne comprends pourquoi ta grand-mère t'a chargé de finir ses recherches. Tu n'as pas le profil.

Je réplique du mieux que je peux :

- Et bien figures toi que je ne comprends pas non plus !

- Tu es faible, Ilkka. Alors soit tu restes avec moi et tu deviens un homme, un vrai, soit tu repars chez toi. Il est encore temps pour toi de faire demi tour.

Elle me lâche avec un sourire sadique :

- Tu vois, tu l'as eue, ta pause.

Sans même se retourner, elle me lance en repartant :

- Montre-moi ce que tu vaux, si tu veux que je devienne aimable !

Piqué au vif, j'en oublie toutes mes douleurs en me portant à sa hauteur. Je parviens à suivre son rythme tant bien que mal, jusqu'à ce que, à ma grande surprise, elle s'arrête pour se tapir derrière un buisson. Elle me fait signe discrètement de m'accroupir à ses côtés. Elle porte sa main à la ceinture et en sort un fil morceau de cuir. Elle saisit un cailloux qu'elle met au centre de la bande pliée en deux. Je suis son regard. Un lapin blanc comme neige est tranquillement installé dans l'herbe dont il grignote quelques brins.

Les yeux fixés sur sa cible, Tancah fait tourner sa fronde en un mouvement de poignet, libérant la pierre, qui atterrit avec une précision chirurgicale entre les deux yeux du pauvre animal. Heureusement, il meurt sur le coup. Je suis pris dans une transe telle que je ne me remarque pas qu'elle est allé récupérer sa proie :

- Tu sais faire un feu ?

Évidemment que non ! Seul mon père savait le faire à la maison. Et puis, il avait des allumettes qui lui facilitaient considérablement la tâche :

- Expliques moi comment il faut faire, je veux bien essayer.

Elle sort son couteau de sa besace :

- Non, tu serais trop lent. Je n'ai pas envie de manger demain matin.

En sifflotant, elle ouvre d'un coup sec le ventre du lapin et commence à le vider. Ses mains pleines de sang vont et viennent entre le lapin et le sol où elle jette négligemment les tripes.

N'en pouvant plus, je m'approche de la falaise qui offre un panorama d'exception. Des sapins à perte de vue, dans des tons de vert, bleu et blanc, une grand lac à l'eau si transparente que j'en distingue la faune et la flore sous-marine. Des rapaces complètent ce paysage sublime, volant en cercle à la recherche d'une proie. Instinctivement, je cherche mon carnet dans ma poche pour immortaliser ce moment, mais je n'y trouve qu'un pauvre crayon tout rabougris. Je n'ai pas pensé à le prendre lorsque je suis parti.

À défaut de le dessiner, je m'imprègne des couleurs et des odeurs, j'analyse le moindre son pour reconstruire mentalement cette merveille de la nature. Je ferme les yeux. Cela me fait tellement de bien de me retrouver seul quelques instants, sans cette fille dont j'ignore tout, qui a le don de m'énerver sans dire un mot. Je me doute qu'elle me cache les vraies raisons de sa présence. Mais quoi ? Elle n'est pas venue simplement apporter un message, je sens qu'il y a quelque chose de plus profond, quelque chose de secret, tellement lourd à porter qu'elle ne parvient pas à s'en délecter. L'envie de la questionner me brûle les lèvres. Je me retiens tout de même, afin d'éviter une nouvelle dispute.

XXX

J'entrouvre les paupières. Il fait nuit noire. Le ciel sans nuage de tout à l'heure a laissé place à un paysage céleste empli d'étoiles dominé par la Lune, plus blanche, plus pleine, plus scintillante que jamais. Je me retourne dans ma couverture, le froid me donne des frissons qui perturbent mon sommeil.

À côté de moi, à l'endroit où devrait se trouver Tancah, il n'y a personne. M'a-t-elle abandonné pour finir son chemin seule ? Me fait-elle une mauvaise blague ? Ou est-elle tout simplement parti chasser ? Je voudrais l'appeler mais aucun son ne sort de ma bouche. Je regarde partout autour de moi, mon sang raisonne dans mes tempes.

Dans un rayon de lune, je la vois. Enfin. Je soupire. Elle est perchée sur un rocher, le même que celui sur lequel je me trouvais quelques heures plus tôt. Elle fixe le ciel. Immobile, enroulée sur elle-même, comme pour se protéger d'un danger que je ne verrais pas.

Je reste quelques secondes à l'observer, sourcils froncés, jusqu'à ce que mon corps me supplie de dormir.

La Rose Éternelle 1, DraggilysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant