Chapitre 6, Le départ

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La porte de la chaumière s'est fermée depuis déjà un moment lorsque je mets un pied en dehors de ma chambre. Mon cœur est aussi vide et silencieux que la maison. Je vérifie ce que j'ai dans ma sacoche une dernière fois. La couverture, mes maigres économies, quelques pommes et une miche de pain. C'est peu, mais le sac ne me permet pas d'y mettre plus de choses.

Bara me fixe, perchée en haut des escaliers. Son plumage est devenu terne. Son regard a perdu son éclat. Elle m'offre tout de même une dernière roue, la plus magnifique de toutes, emplie de tristesse et de compassion. Je vérifie le papier que j'ai déposé sur la table de la cuisine.

Ne m'en voulez pas. Je reviens vite. Prenez soin de Bara. Je vous aime.

Je referme la porte avec soin et me marche d'un pas triste vers Senko, sagement en train de brouter l'herbe fraîche de son enclos. Il lève sa tête vers moi et ferme les yeux au contact de mes lèvres sur ses naseaux.

Je veux aller sur la colline la plus proche pour avoir un panorama sur la ville afin de savoir où me diriger. J'aurais pu me servir des panneaux s'il y en avait eu mais étant donné la mauvaise réputation d'Eschenwald, les Vradilleniens ont décidé de ne pas montrer son chemin. L'ascension est plus simple que je l'imaginais mais la douleur sous mes pieds se manifeste de plus en plus fort.

Malgré la banlieue qui gâche le paysage, la vue est réconfortante. Les arbres verts se mêlent à ceux aux feuilles rose et violettes. L'odeur de la nature et son air pur me redonne un peu de courage. Je sais que je vais retrouver mon environnement dans peu de temps. Un mois tout au plus. Si la Rose s'est cachée en dehors de Vradilleni, c'est forcément à Eschenwald.

XXX

La nuit commence à tomber m'offrant un coucher de soleil absolument majestueux. Le chemin est devenu caillouteux, mes bottines ne sont plus donc de circonstance. Leurs semelles fines ne me protègent plus.

La peur m'envahit de plus en plus, accélérant encore plus mon rythme cardiaque déjà élevé par l'effort que je fournis depuis ce matin. En plus de cela, Eschenwald est introuvable. Le chemin que je suis est bien tracé mais bordé de grands arbres qui ne donnent aucune visibilité.

Un bruissement dans un buisson alentour me fait sursauter. Je perds l'équilibre et me rattrape in-extremis à une branche. Serait-ce un serpent ? Ou un sanglier ? Pire, si ce sont des bandits venus me dépouiller ?

Je puise dans mes dernières réserves pour m'enfuir à toute jambes, mais je ne résiste pas longtemps. Je m'effondre contre un vieil arbre au tronc large et accueillant. J'ai froid. J'ai faim. J'ai soif. Je suis fatigué. J'ai peur. Tout défile à une vitesse hallucinante comme si le temps s'était accéléré d'un coup.

La tête entre mes bras posés sur mes jambes, j'arrose la terre avec les fleuves qui coulent sur mes joues.

L'image de ma mère monopolise ma vision. J'ai l'impression de la voir, comme un spectre, devant moi, sans pouvoir l'entendre ni la toucher. Elle reste immobile, stoïque. À mesure que mes larmes s'épuisent, elle se noie dans la nuit noire et disparaît pour de bon.

Ma petite couverture ne suffira pas à créer un cocon réconfortant. Mais la fatigue monte, encore et encore, jusqu'à ce que les portes des rêves s'ouvrent devant moi. Ce sera ça mon cocon pour la nuit.

XXX

Depuis quand n'ai-je pas mangé ? Hier matin peut-être ? Avant-hier soir ? Je n'en sais rien. Ce dont je suis convaincu en revanche, c'est qu'il serait temps d'attaquer ma petite réserve. J'hésite entre le pain et la pomme, et c'est le fruit qui l'emporte.

Mon outre me paraît très légère. Même trop légère pour étancher ma soif. Il va falloir que je trouve une rivière ou une source d'ici peu.

Je me remets en route avec l'impression que mon âme est restée aux pieds de l'arbre. Je suis le chemin les yeux dans le vide en traînant les pieds. Cette transe dure une éternité. Quand j'en sortirai, mes cheveux auront poussé, ma barbe sera apparue, et les rides sur mon front seront marquées comme celles de mon père. Je repense à lui. J'espère qu'ils ont compris et qu'ils ne sont pas trop triste. Ou du moins qu'ils comprennent. Enfin, je ne suis pas sûr qu'ils « comprennent » réellement. Le mot que je leur ai laissé veut à la fois tout et rien dire. Ils pourraient penser que je fuis quelque chose, que je pars retrouver une jeune fille dont je serais amoureux... Jamais ils ne penseront à la Rose Éternelle, j'en suis convaincu. Le seul moyen pour eux de s'approcher de la vérité serait de trouver une lettre ou un message de la Chérégalki à leur attention qui expliquerait tout. Mais ce n'est pas une hypothèse à laquelle je crois.

Ma réflexion est brisée par un bruit qui m'est familier. Cela ressemble à de l'eau qui coulerait sur des rochers... Une source ? Une rivière ? Ou mieux, une cascade ? Toute l'énergie que je n'ai pas remonte à la surface et je cours à toutes jambes vers l'eau salvatrice.

Je n'ai pas eu à courir longtemps, mais ce qui s'offre à moi est indescriptible. J'ai l'impression d'être dans un rêve. Une petite cascade entourée de fruits sauvages. Des fraises, des framboises, des myrtilles, des groseilles... J'en oublie la Rose. Je me fais un petit festin de fruits et d'eau fraîche jusqu'à ce que mon ventre n'en puisse plus, après quoi je plonge dans l'eau qui détend chacun de mes muscles. Je m'endormirais presque.

XXX

Le bruit de l'eau sur les cailloux m'a bercé jusqu'à ce que je m'endorme à poings fermés dans ma couverture. Malheureusement, il commence à faire nuit lorsque je me réveille. Par praticité, et surtout pour avoir de l'eau à portée de main, je suis la rivière jusqu'en bas de la colline. Jusqu'à ce que j'aperçoive les premières maisons – même si je ne considère pas que le mot soit juste – j'étais parfaitement détendu, comme quelqu'un qui rentre d'une longue randonnée. Au plus je me rapproche, au plus mon cœur fait des siennes. Il s'affole, se serre, me donnant presque envie de vomir mes délicieux fruits des bois.

J'espérais secrètement que l'on ne me laisse pas entrer, mais personne ne vient à ma rencontre. Eschenwald ne correspond pas tout à fait à ce que l'on raconte à Vradilleni. Premièrement, il n'y pas de haute muraille ni de soldats armés jusqu'aux dents pour empêcher quiconque de sortir. Deuxièmement, il n'y a aucun bruit, alors que la banlieue est réputée pour ses règlements de compte violents. Et enfin, le plus étrange, il n'y a personne dans les rues. Il y a simplement quelques chats ça et là qui s'enfuient lorsque je passe à côté d'eux.

Peut-être qu'une auberge sera encore ouverte à cette heure-ci, ce qui serait tout à fait de circonstance au vu du quartier dans lequel je me trouve. Avec les quelques sous que j'ai dans ma besace, cela devrait faire l'affaire pour une nuit. Mais rien. Pas même un endroit pour acheter de quoi manger.

J'arrive à ce qui devait être une place, qui s'est transformée en terre sèche sous laquelle on entrevoit parfois d'anciens pavé gris. Il y a quatre rues qui mènent à la place, formant les quatre côtés d'un carré. Un arbre, ou plutôt un arbre mort, est au milieu de la place, en dessous duquel une carriole renversée s'offre à moi comme le domicile parfait pour la nuit.

Avec le plus de discrétion possible, je me glisse entre les planches de bois qui craquent légèrement. Ce n'est pas d'un grand confort, mais cela fera l'affaire. Je vois tout ce qui se passe autour de moi sans être vu.

Enfin, pas tout à fait. Une silhouette fine, féminine avec un couteau bien en évidence à la ceinture me fixe. Je retiens ma respiration au maximum mais elle s'avance vers ma cachette. Elle va sans doute traverse la place pour se rendre chez elle ? En tout cas, je l'espère. Mais elle passe un peu trop près de ma cachette pour s'arrêter à quelques mètres. Sa voix féline me paralyse :

- Sors de là. À part si ne veux pas voir le soleil se lever demain matin.

La Rose Éternelle 1, DraggilysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant