ALKEBULAN T.1.Le cœur du monde

...un bourdonnement incessant...

Un bourdonnement incessant gronde dans mes tympans, j'ai l'impression de me trouver dans un rêve.

Un cauchemar.

Ou du moins ce qui y ressemble. Je ne sais plus vraiment comment réagir, comme si mes émotions avaient été aspirées dans un coin, quelque part où je n'ai pas accès.
Depuis l'annonce de la veille, je n'ai pas dit un seul mot, Yemaya n'a pas insisté pour en parler. Je n'ai plus rien dit, plus rien fait, je n'ai même pas réussis à pleurer malgré la tempête qui gronde en moi et l'étau qui resserre mon cœur. Je ne sais pas si j'ai dormi, je suppose que oui puisque je ne me souviens pas de la nuit, mais rien ne semble réel, plus rien ne semble vraiment compter à part l'accablement que je ne peux m'empêcher de ressentir en echos à mon impuissance.

—         Iris va accoucher aujourd'hui, je vais l'aider, tu viens ?

La voix de ma sœur résonne contre mes tympans et me sort lentement de ma torpeur.
Je la regarde ranger de l'eau et des plantes dans un sac en toile sans même prendre la peine de me regarder. Je cligne des yeux et me lève lourdement, comme si la gravité se decidait à me retenir.
Sans un mot de plus Yemaya met son masque à oxygène. Je ne peux m'empêcher de penser que son fer rouillé et son tissus brunis par le temps, détonnent avec sa robe jaune poussin. Je met le miens d'un geste mécanique et la suis dans la rue tandis qu'elle se dirige d'un pas serein vers l'habitation d'une de nos voisines.

Je repère vite sa maison, d'autres personnes sont là, agglutinés les uns aux autres devant la porte et les fenêtres.

Un attroupement.

Même certains Caucasoïdes ont fait le déplacement, protégés par d'epaisses couches de vêtements et des parasoleils de fortune rabibochés au scotch. L'évènement d'une naissance est toujours attendu par la communauté avec impatience, beaucoup espèrent secrètement que l'enfant soit Nervidien pour échapper à la grande exploitation et à la peste blanche. D'autres espèrent qu'il soit Afroïde pour pouvoir partager leur souffrance avec un nouveau venu.

Le malheur serait qu'il soit caucasoïde.

Yemaya joue des coudes et des mains pour se déplacer au milieu de la foule compacte agglutiné devant la porte de la futur mère. Elle frappe énergiquement contre le battant et très vite un homme dépassant la trentaine viens nous ouvrir. À son regard on comprend vite qu'il était temps, les choses ne se passent pas aussi bien qu'il l'aurait voulu.

Yemaya se précipite et j'entre à sa suite, passant mon regard las sur la décoration modeste et les nombreuses plantes, désormais mortes, que Tara leur avait donné. L'air est cependant respirable et je comprends qu'ils ont investit dans le système d'oxygénation fournit par l'Etat

Fournit aux afroïdes les plus obeissants.

Malgré le bourdonnement incessant dans mes oreilles, je finit par percevoir les cris d'une femme, Iris, allongée en position fœtale au milieu de la pièce sur un linge plus au moins propre. Yemaya se précipite à ses côtés et commence à lui parler. Je me contente d'observer cette femme, nue, recouverte d'une fine pellicule de sueur, dont la peau brune, brille légèrement. L'homme se tient près d'elle, aussi paniqué que peut l'être un futur père, lui aussi est un afroïde, avec un taux particulièrement élévé de mélanine.

Un niveau 5.

Yemaya fait manger certaines racines à Iris et lui fait avaler quelques gorgées d'eau avant de se placer entre ses jambes, examinant minutieusement la situation.

—                 L'enfant va bien, pousse Iris.

La futur mère s'agrippe aux plis du linge qui la soutient et pousse.
J'espère que l'enfant sera Nervidien, que la loterie de la génétique le placera au centre de la chaine, avec une mère niveau 3 et un père niveau 5, il est plus probable que l'enfant soit de niveau 3 ou 4, cependant rien n'est sûr, il pourrait très bien être de niveau 1 ou 2 comme moi.