Chapitre 9.1

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Zyniarold

L'incompréhension me fige sur place sitôt que les deux gardes s'effacent en m'annonçant à sa Majestuosité.

Là, à quelques pas de Père, à côté de Tatialine, d'un Humain que je ne connais pas (et qui ne m'inspire pas confiance) et de l'Humnain trop bavard dont j'ai déjà oublié le nom se trouve Ash.

Ash qui me dévisage de cet air blasé présageant qu'il connaissait la raison de cette entrevue.

Ash qui grimace en écho à notre malaise commun.

Ash qui arbore fièrement sur sa poitrine le médaillon orange des Héros.

Au moins, il n'y a pas de Centaure.

— Est-ce que c'est une blague ? lâché-je d'une voix blanche, le menton pointé vers l'horreur devenue Héros, serrant un peu trop fort Ancelin contre moi.

Mon Soignelier personnel se trémousse jusqu'à fuir mon étreinte pour se réfugier dans ma capuche.

Majestueux, le roi Geoffrin Premier s'avance le long du chemin de sable blanc bordé de pelouse. Ses pas calculés ne dérangent pas le moindre grain. Son avancée ne couche pas le moindre brin. Malgré moi, je frémis et courbe l'échine ; sa prestance et son aura sont celles d'un grand roi, et il me faut toujours quelques secondes pour retrouver ma verve en sa présence.

Encore plus aujourd'hui.

— Zyniarold, gronde Père. Où sont tes bonnes manières ?

— Dans les douves, marmonné-je assez bas pour qu'il soit le seul à m'entendre. On se demande à cause de qui.

Père lève un sourcil sévère et, comme toujours, décide de prendre le parti de la crurrotte ratée.

— Je te prie de bien vouloir saluer Ashog comme il se doit. Il est un Héros du Peuple désormais, en plus d'être notre plus bel espoir parmi les Druides apprentis.

Bien sûr, le principal intéressé en profite pour prendre l'ascendant. Il approche d'un pas, se penche en avant avec ce sourire narquois que j'ai toujours envie de lui enfoncer dans la gorge avant de pépier d'un ton mielleux :

— Au-da-cieux, quel... évènement de vous voir.

— Tu m'aimes tellement que tu t'es fait engager par les Héros qui me veulent, raillé-je, ce qui fait pouffer l'Humnain de rire.

J'enrage de manquer de répartie, mais avec Enguerran presque collé à mon dos (il guette le bon moment pour intervenir, je le sens et le redoute), le regard froid et désapprobateur de mon père et la nausée persistante due à la présence de cet idiot de Druide, je ne suis pas opérationnel.

Avant que Ash ne puisse me répondre (et à l'éclat agacé de ses iris, je mettrai ma main à couper qu'il s'apprêtait à le faire), Père lève les deux mains et nous invite tous à nous approcher de lui.

De mauvaise grâce, j'obtempère.

— Puisque nous sommes tous présents, clame Père, venons-en au fait. Zyniarold, mon fils, je crois que tu as déjà rencontré Tatialine.

D'un geste un peu trop pompeux, Père m'indique la petite troupe de Héros.

Je hoche la tête, sur mes gardes. Et quand je dis ça, je ne parle pas de Silorem et Merolis qui me suivent de près. Ces deux-là ont même réussi le tour de force d'inciter Prucelran à se poster dans l'ombre de notre père.

— Il y a de cela deux mois, reprend Père, Tatialine et le Directeur de la Forteresse sont venus me trouver. Je fus flatté de découvrir que cette Héroïne en devenir avait choisi Grenzadiel pour former une troupe de Héros. Elle désirait parcourir le pays à la recherche de Héros en devenir, d'êtres exceptionnels au potentiel prometteur !

Je contiens un bâillement alors que ces mots résonnent dans ma mémoire. Alors c'est de ça que Tatialine me parlait à la taverne ?

— Malheureusement, nous n'avons jamais accueilli de Héros en notre sein. Aussi nos installations étaient-elles vétustes et inutilisables.

J'espère qu'il ne fait pas ce résumé que pour moi, parce que ça ne m'intéresse toujours pas. Néanmoins, aujourd'hui, j'offre à ce récit une oreille attentive : si je veux pouvoir donner un refus argumenté, il me faut des informations.

Et avec Ashog dans leur équipe, il est plus que jamais hors de question que je les rejoigne.

Sérieusement, Dame Lune, tu as cru que ça allait passer ?

Un tiraillement dans le ventre me signifie qu'elle m'entend... et me répond. J'esquisse un pâle sourire ; de toute évidence, elle n'a pas encore trouvé le moyen de retisser notre lien.

Tant mieux. Pourvu que ça dure.

— J'ai donc suggéré à Tatialine de partir sur les chemins et de mander l'aide de mes différents vassaux pendant la restauration des cours d'entraînement et de ce que notre estimée invitée appelle « le Dormoir », continue mon père, bien loin de se douter de mes turpitudes intérieures. Ainsi, elle a visité les Iles de Pierre et recruté le fils du plus grand Chevalier et Ambassadeur nain de notre époque, un mage aux compétences proches du génie ! Il avait treize ans lorsqu'il a inventé lui-même son premier sortilège !

C'est pour ça qu'il a un ego inversement proportionnel à sa taille.

Waane, toujours aussi richement vêtu, m'adresse un signe de la main en sautillant.

— Salut ! C'est moi le mage, Waane, tu te souviens ?

— Non.

Il lâche un petit « oh » médusé avant de secouer la tête.

— C'est pas grave, on sera bientôt copains comme prucelet ! affirme-t-il.

— J'aime pas les prucelets : ils sont impuissants et sentent mauvais.

Derrière Père, Enguerran se tend. Gagnerait-il en intelligence et aurait-il compris le double sens ? Rien n'est moins sûr.

— Zyniarold, souffle le conteur du jour. Ne vas-tu donc jamais cesser ? Non. Ne réponds pas. Tiens-toi juste tranquille le temps que je finisse. Après les Iles de Pierre, Tatialine s'est rendue à Boitenvin et Célener, aussi célèbre pour sa gentillesse que sa camaraderie et son talent à l'épée, a rejoint la troupe. Pendant ce temps, au Palais, Kheog a supervisé les travaux de rénovation. Tu te souviens peut-être de lui ? Il est une des rares recrues grenzadiennes à être devenue stagiaire il y a quinze ans, et avant de rejoindre la Team de Tatialine, il a travaillé avec des Héros TerreMondiens à plusieurs reprises !

Bouse de frell !, il va tous me les présenter avec emphase, on dirait. Sans doute à cause du strékidus (intact) qui volette au-dessus de nous et capt'image probablement toute la scène.

— Kheog, pour vous servir, susurre le Héros inconnu en effectuant une brève révérence avant de replacer derrière son oreille une mèche d'un rouge aussi profond que les cheveux d'Ashog.

Kheog. Rouge. Crocs miniatures. Ascendance Orc. Ew. Pour ça qu'il me revient pas. Et puis, il a cet air faux des personnes trop ambitieuses.

— Zyn, vingt-cinq ans, j'habite toujours chez mes parents, bâillé-je en retour. Oh, et je suis un homme.

— Oui, ça se voit, rigole Waane. Et un très joli homme par-dessus le marché !

— Je précisais juste pour les mous du bulbe comme Enguerran. On va pas se mentir, c'est pas l'épée la plus affûtée du râtelier, donc...

— Zyniarold, veux-tu bien arrêter de provoquer ton frère...

— Prince ! Je suis son Prince, corrige Prucelran dont la peau prend une horrible teinte rougeâtre.

RPG, en route pour Grenzadiel ! (MM, queer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant