Chapitre 11.1

20 5 0
                                    

Ashog

Une lueur de vice jubilatoire s'allume dans le regard marron d'Enguerran. Je fronce les sourcils. Cette lueur, je la connais bien. Je l'ai un peu trop souvent observé dans ses yeux, par le passé.

Je ne suis pas stupide au point de compter le prince Enguerran parmi mes amis (d'ailleurs, je n'en ai pas, d'amis). Je n'ai pas non plus l'imprudence de croire que je fais partie des siens (il n'en a pas vraiment non plus).

Pour être honnête, Enguerran me rebute, tant dans ses attitudes que son caractère. Il est retors, mesquin, sadique même. Il est dangereux, comme tout homme égocentrique dont le pouvoir n'atteint pas ses espérances ou exigences. Un homme dont je me méfie, mais avec qui je suis bien obligé de composer : je le croise quasiment à chacune de mes visites au Palais.

Et une leçon que j'ai apprise de ma mère est de toujours flatter l'Orc laid jusqu'à le faire se sentir beau, ça évite de finir sous ses crocs.

La meilleure raison qui me pousse à passer du temps avec le Prince est qu'il hait Zyn autant que moi. Il prend autant de plaisir à me chuchoter les secrets et dérapages du bâtard royal que j'en ai à les écouter. Et c'est l'un des seuls habitants de Grenzadia à ne pas me détester, l'un des rares mêmes à se montrer amical avec moi.

— Pas le seul ? Comment ça, pas le seul ?

Le regard de Notre Roi va et vient entre ses deux fils tandis qu'il s'étonne, un brin de suspicion dans la voix. Je le comprends : il est bien placé pour savoir que son héritier n'est pas la plus fiable drakidée de l'écurie...

Ni le bâton le plus droit du fagot.

La manière dont les lèvres d'Enguerran se tordent assoit définitivement ma certitude : le Prince a un atout dans sa manche, un atout qu'il estime même imparable. Il ne jubilerait pas autant, sinon.

Et la brève, subite et douloureuse torsion de mon estomac m'apprend que la Déesse Immortelle sait très exactement dans quelle direction va Enguerran et qu'elle désapprouve. Un léger étourdissement persiste après le message de l'Immortelle. Sans doute est-il la cause du malaise vague et impalpable que je sens monter en moi quand le Prince entreprend de se pavaner devant notre assemblée.

— Comme je vous l'ai dit, j'ai discuté avec un Druide, qui s'inquiétait du Destin d'Ashog et qui en a parlé à une Lunule du temple, lâche Enguerran en se rengorgeant. Père, saviez-vous que Zalabelle vous a caché le second destin de mon cher frère ? La meilleure des voies, selon moi. Pour Zyniarold comme pour notre royaume !

Involontairement, mon regard glisse vers Zyn. Il a beau s'accrocher à son éternel sourire en coin insolent, je le connais trop bien : il est nerveux, pris de court. En temps ordinaire, ça me gonflerait d'une certaine satisfaction, mais ressentir le désaccord de la Déesse Immortelle, si évident, m'empêche de savourer la gêne de mon ennemi de toujours.

— Tu comptes vraiment tenter ce chemin ? souffle l'Astraline, visiblement désabusée.

Dans mon ventre, le tumulte lunaire reprend et je serre les dents.

— Il se passe quoi, là ? souffle soudain Waane à mon oreille. J'ai l'impression que ça sent pas très bon...

— Ça pue un peu le frell faisandé, oui, marmonne Kheog à voix basse.

Machinalement, je glisse un regard vers Tatialine, curieux de sa réaction au dernier rebondissement. Un peu plus pâle que d'ordinaire, la TerreMondienne affiche pourtant un visage presque serein.

Visiblement agacé par l'intervention de l'Astraline, le Prince se tourne vers son père pour reprendre son laïus.

— Il y a le chemin avec les Héros, si Zyniarold accepte sa Destinée avec Ashog, pontifie-t-il avec un sourire mauvais. Mais il y a aussi un chemin sans Héros et où il raye définitivement Ashog de sa vie. Ça devrait lui convenir !

RPG, en route pour Grenzadiel ! (MM, queer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant