Chapitre 10.1

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Zyniarold

Je n'ai pas fait quelques pas en direction du cloître que la voix nasillarde de Prucelran résonne : il me reproche mon manque de respect envers Sa Majestuosité et nos illustres invités. Me rappelle d'un ton courroucé que la réunion est loin d'être finie. Que lui n'est pas venu ici pour parler Héros, mais pour un autre sujet de « bien plus grande importance ».

J'aimerais ne pas l'écouter, mais sa voix se répercute sur les murs. Elle me poursuit, s'enroule autour de moi, s'insinue dans mes oreilles jusque dans mes tympans pour me forcer à entendre chacun de ses mots.

Une autre voix s'y mêle. Plus douce. Plus chantante. Un sortilège chanté, une des formes de magie les plus rares et pures de LuneTerre. La véritable cause de mon audition malmenée. La source de ce flux dont je ne peux me défaire se trouve en face de moi, nimbée d'une brume opalescente, le corps recouvert d'un entrelacs complexe de rubans, bandes de soie et mousseline qui s'évase jusqu'à ses pieds. Si menue dans ce large promenoir et pourtant si imposante que sa simple présence suffit à me bloquer le passage.

— Mère, murmuré-je. Je ne vous demanderai pas ce que vous faites-là...

D'un geste de la tête, je la salue, fais de même avec la Cabrigarou au visage rond et avenant qui la suit comme son ombre. Puis je fais mine de les contourner ; Mère lève le bras et répond à la question que je n'ai jamais posée :

— Je viens t'éviter de commettre l'erreur de ta vie, dit-elle d'une voix cinglante avant de se fendre d'un sourire et d'une courbette gracieuse. Luneline Tatialine, enfin je vous rencontre !

Luneline. Tatialine est une Luneline.

Pourquoi je ne suis pas surpris ?

Je pivote sur mes talons pour trouver la TerreMondienne juste derrière moi. Elle me sourit, bien que son manque d'assurance exsude par tous les pores de sa peau. Je la dévisage en tentant d'insuffler dans mon froncement de sourcils tout mon agacement et mon envie de décamper.

— Bonjour, Madame, piaille Tatialine. Je suppose que vous êtes sa mère ? Vous êtes aussi belle que lui. Je suis ravie de vous rencontrer, et je m'excuse d'avance si j'essaie de vous voler votre fils. Je sais... je sens dans chaque fibre de mon corps qu'il...

—... doit venir avec vous, achève Mère, un sourire dans la voix avant de pincer les lèvres à la vue de ma coiffure.

D'un geste expert, et peu soucieuse des cinq paires d'yeux braqués sur nous, elle dénoue la lanière qui retient ma tignasse avant de la demêler de ses longs doigts fins. Waane cherche visiblement quelque chose à dire ; Kheog bave ; Enguerran dégouline de réprobation et Ash la couve d'un air de dévotion et de répulsion mêlée. Quant à Père, il dévore Mère des yeux, comme chaque fois qu'elle paraît devant lui

— Ton intuition est juste, jeune Luneline, reprend Mère une fois mes cheveux domptés dans une hideuse couette attachée sur ma nuque. Et ne m'appelle pas Madame, mais Dame Zalabelle ou Zalabelle ; c'est comme ça que me nomment ceux qui ne pratiquent pas le Culte de la Lune. Retournons dans le jardinet pour discuter. Zyn ? Ouvre la voie, je te prie.

Tatialine écarquille les yeux, murmure le prénom une ou deux fois avant de crocheter mon bras pour m'entraîner vers la troupe qui nous attend de pied ferme.

— Le culte de la Lune ? demande Tatialine d'un ton sincère et curieux, se tournant à demi vers Mère. Dites m'en plus, s'il vous plaît !

— Oh, il me prendrait des heures pour tout te dire, jeune Luneline. Disons que la Lune désigne, mais laisse choisir. Si tu désires t'engager dans cette voie, il te faudra venir me trouver au Temple de la Lune. Si tu désires le visiter, ma Lunule Joline ou l'une de ses sœurs te guidera avec plaisir !

La Cabrigarou offre un sourire timide à Tatialine, avant d'esquisser une courbette.

— Avec plaisir, Astraline.

— Astraline ? C'est très beau ! recommence à piailler l'Héroïne. Est-ce un titre ? J'ai la sensation que c'en est un !

— Oui, confirme Mère. L'Astraline est la plus Haute Autorité du Culte de la Lune. Parmi les Lunelins, mes pouvoirs égalent ceux de Geoffrin, et si une guerre devait éclater un jour, c'est moi qu'ils suivraient plutôt que n'importe lequel de leur souverain.

Mère se déporte vers Tatialine et se penche à son oreille :

— C'est assez pratique lorsqu'il s'agit de contrer cette tête de baudenet de Zyniarold ! susurre-t-elle sur le ton de la confidence. Mais pour cette fois, j'aurais grandement besoin de ton aide.

— Pour cette fois, interviens-je mollement, rien ne pourra me convaincre.

— Pour cette fois, renchérit Enguerran, nous avons une autre solution pour débarrasser le palais de ce foutu Kobolf !

D'un même geste, Père et Mère claquent des doigts. Une brume pailletée grise se forme autour d'eux, bondit dans le jardinet, galope sur les arches de pierre du cloître avant de venir tourbillonner autour d'Enguerran.

— Woooh, s'exclame aussitôt Waane. C'était quoi ça, vous n'avez même pas lancé de pelote ! Oh, attendez, je sais, je sais ! Sa Majestuosité a lancé une Malédiction, l'Astraline un Sortilège de la Lune et quand ils se sont mélangés, ça a fait un sorcelège de Soumission, c'est ça ?

Surpris, Père garde un moment le silence. Il époussette son impeccable pourpoint noir, puis complimente Waane sur ses connaissances : peu de Mages sont capables de reconnaître les Malédictions. Plus rares encore sont ceux à connaître l'existence des sorcelèges.

Et ceux qui savent qu'on peut combiner la magie des Druides, des Mages et des Sorciers se comptent sur les doigts d'une main. J'en fais partie, mais on m'a bien fait comprendre de ne jamais en parler : certains savoirs doivent rester secrets.

— Ha oui, ça, c'est parce que j'ai pu suivre un stage d'éducation magique avec des Druides, des Mages et des Lunules ! Parce que je suis un Lunelin, moi aussi, regardez !

Et sans plus de cérémonie, Waane tire sa chemise de son pantalon pour dévoiler le pâle croissant de lune couleur jade qui s'étale sur sa hanche.


RPG, en route pour Grenzadiel ! (MM, queer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant