Chapitre 10.2

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Je fronce le nez.

Tatialine. Ash. Waane. Moi... et à en juger par la mine chiffonnée de Kheog... lui aussi. Nous sommes tous des Lunelins.

Un ricanement moqueur monte en moi :

— Donc en fait, Dame Lune s'amuse à créer une Team avec Tatialine, c'est ça ? J'imagine que Célener et les deux qui me poursuivaient hier sont aussi des Lunelins ?

La TerreMondienne écarquille les yeux lorsque Joline nous le confirme d'une petite voix : c'est elle qui a vu cette prédiction et qui a été chargée de l'interpréter. Pour être sûre, elle a vérifié trois fois. Aucun doute possible : tous les membres de la Team sont des Lunelins.

— Bon, eh bien tant mieux pour vous, vous serez huit Lunelins coquins à vous dandiner sous le ciel étoilé les soirs de pleine Lune. Moi, par contre, je vais garder mon libre arbitre.

Prucelran renâcle, incapable de parler à cause du sorcelège de soumission, et me jette un regard envieux.

Il ne fait pas partie des Lunelins. Ces êtres choisis par la Lune à leur naissance. Ces créatures dotées de conscience que la Dame marque d'un croissant. Ces appelés à faire de grandes choses si tant est qu'ils embrassent leur Destin.

Il n'en fait pas partie et s'imagine perdre quelque chose.

Il a tort.

Dame Lune nous guide sur un chemin tracé tout en nous permettant de fuir par des sentiers dérobés, c'est vrai. Hélas, ces sentiers nous ramènent bien souvent sur la route principale.

Enguerran me jalouse, mais il ignore tout de cette sensation de fuite éperdue et éternelle. Il ne peut pas imaginer la douleur de cette lutte interne pour échapper à l'attraction lunaire.

— Je suis pour qu'il garde son libre arbitre, moi aussi. Le plus loin possible du dormoir, si possible.

Tous les regards se tournent vers Ash. Ses iris grenat m'étudient avec dégoût. Les bras croisés sur son torse, il se balance d'avant en arrière dans un geste presque mécanique.

— Qu'est-ce que tu fous ici, d'ailleurs ? l'invectivé-je. T'aurais pas pu rester avec les autres Héros au lieu de venir te pavaner ici ?

Ses magnifiques traits (pourquoi a-t-il fallu qu'il prenne tout de son Chat-Garou de Père et rien de sa diabolique mère Orc ?) se crispent. Sa langue glisse sur ses lèvres, il cligne plusieurs fois des yeux avant de lâcher, contrarié :

— Je n'ai pas eu le choix, sa Majestuosité doit signer mon contrat. Et obtenir un rendez-vous n'est pas si aisé que pour toi, Au-da-cieux.

Il ponctue son dernier mot d'un sourire sardonique avant de se tourner ostensiblement vers Waane. Et alors que je m'attends à voir ce dernier intervenir d'une quelconque manière, Mère m'attrape par les épaules et me force à avancer vers Ash.

— Une décision doit être prise. Vous ne pouvez continuer ainsi tous les deux. Il vous faudra apprendre à vous tolérer à l'avenir, afin de ne pas risquer le succès de votre Team avec vos chamailleries.

— Mais je..., tenté-je avant qu'elle ne m'interrompe.

— Mais rien du tout, Zyniarold. Votre lien vibre comme rarement les liens tissés par l'Éternelle vibrent. Aucune dissonance. Aucune rupture. Et cela ne peut signifier qu'une chose : quelles que soient vos raisons, aucun de vous deux n'a tenté de réellement briser ce lien. Le passé est ce qu'il est, je suis bien placée pour le savoir. En mon temps, j'ai haï de tout mon être, moi aussi, au point d'agir de manière inconsidérée. J'ai mûri. Tu dois mûrir aussi, mon fils : Ashog ne peut être tenu responsable des crimes de sa mère.

— Ma mère n'a commis aucun crime, explose Ash en réduisant la distance entre nous. Ce sont vos mensonges qui ont ruiné mon enfance !

Le voir énervé n'est pas une première, en revanche, s'il porte la main sur moi, ce sera de l'inédit.

— Je le déteste pas à cause de sa mère, je le déteste parce qu'il est stupide et borné, soufflé-je en reculant d'un pas pour éviter la crurrotte furieuse en pleine crise de nerfs. Qu'est-ce que tu veux faire avec ce truc, ça refusera toujours d'entendre raison !

— Cessez de vous trouver des excuses, tonne Père. Toi, Ashog le futur Druide, la haine t'aveugle et t'empêche d'atteindre la maîtrise de tes émotions, elle t'empêche aussi d'accorder le pardon, un pardon dont tu as besoin pour avancer. Pour te présenter à l'Ascension dans de bonnes conditions. Côtoyer Zyniarold te sera bénéfique. Lui parler te sera bénéfique.

Ash serre les dents et secoue la tête avant de murmurer un « Oui, votre Majestuosité ». Waane et Kheog se tapent dans la main. Tatialine sourit.

Ils croient que les choses sont réglées ou quoi ?

— Je n'ai rien à y ga...

— Il suffit, Zyniarold Zulemin ! Ne me fais pas l'insulte d'invoquer encore ce libre arbitre qui ne t'a mené nulle part dans la vie ! Tes seules occupations se résument à courir la ville à la recherche de romans-feuilles, de bijoux scintillants et autres babioles inutiles. Sans oublier ta manie de transformer ce pauvre Ancelin en lapin. Il est grand temps que tu cesses de te comporter comme un enfant. Que tu cesses de fuir la réalité et que tu trouves enfin un but à ta vie : cette troupe de Héros est l'occasion idéale pour toi, une occasion qui ne se représentera sans doute jamais.

Humilié, je me renfrogne sans trouver quoi répondre. En plus, il n'a pas évoqué le fait que je suis très fort pour séduire demoiselles et damoiseaux.

Soudain, Prucelran se met à frétiller comme un frell qu'on déplume. L'occasion parfaite de décharger ma hargne :

— Tu sais que t'es juste temporairement muet, tu peux bouger comme tu veux ? remarqué-je, désabusé face à sa danse aussi ridicule que... juste ridicule, en fait.

— Hmmm hmmm !

— Peut-être devrions-nous le laisser parler, suggère Tatialine avec des yeux suppliants. Il m'a semblé qu'il connaissait bien Zyn comme Ash, peut-être aura-t-il une solution ?

— Là, tu rêves, bougonné-je.

— Je suis d'accord pour l'écouter, répond Ash dans le même temps.

Prucelran gigote encore un peu sous l'œil amusé de Waane qui le compare aux énormes poissons paupautains qui remontent le fleuve Endurion en été. Désabusé, Kheog lui fait signe de se taire tandis que Tatialine approche à petits pas du Prince héritier avant de se tourner vers Mère, puis Père pour réitérer sa demande. Après un instant de flottement, un nouveau claquement de doigts emplit les lieux et me fait vibrer du bout des oreilles jusqu'aux orteils.

— Ha, enfin, rugit le prucelet ! Je voulais juste vous dire qu'hier, j'ai eu le bonheur de partager une bière au miel avec un Druide, et devinez ce que j'ai appris ? Quelque chose de fort intéressant qu'il tenait lui-même d'une Lunule du temple de la Lune. Figurez-vous que Zyn doit quitter le palais, oui. Eh oui !, les Héros sont un parfait moyen pour le faire. Mais ils ne sont pas le seul.

RPG, en route pour Grenzadiel ! (MM, queer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant