Onze

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Ma nuit ayant était courte et sans une once de sommeil, mes jambes furent lourdes jusqu'au Lincoln Mémorial. Célèbre musée de la capitale, il accueillait de grandes expositions et les professeurs n'étaient pas passés à cotés. Nous passions la journée là-bas. Au matin nous devions découvrir JR, un artiste engagé français. Un homme incroyablement fou qui n'avait peur de rien. Il voulait seulement exprimer sa vision des choses, de la société, et pour cela il avait choisi la photo. Des photographies de trois mètres de hauts représentaient des femmes. Des femmes africaines dépourvues de reconnaissance. Elles étaient belles et souriantes, même si des cernes creusaient leurs visages et leurs joues vides, si vides que personne ne pouvait rire devant leurs portraits.

Je me sentis nulle, nulle de faire tout un plat pour quelques mauvais rêves, certes répétitifs, mais juste de mauvais rêves. Alors que ses femmes donnaient naissance à des enfants alors qu'elles n'avaient rien pour manger convenablement. Je leur tirais mon chapeau et je le fais toujours.

Les murs blancs du couloir sur lesquels étaient accrochées les photos contrastaient avec le noir des visages. Le reste de mes amis avançait moins vite que moi. Ils étaient bien moins intéressés et William n'arrêtait pas de se plaindre qu'il avait mal aux pieds. Moi je trottinais presque entre les touristes pour voir toutes ces fresques impressionnantes. On se sentait vraiment petit à côté de ces visages. Alors que je me stoppai une fois de plus devant une autre de ces photos, une main se glissa dans la mienne. Innocemment. Je tournais le visage pour voir David qui regardait la même œuvre que moi. Il n'agissait pas moins gêné qu'habituellement. Alors je baissai le regard vers nos mains étrangement liées. Elles allaient bien ensemble, assemblées à la perfection. La chaleur qui émanait de sa paume me fit frissonner. Je commençais à me demander si je ne ressentais rien d'autre à son égard, si mon cœur ne me jouait pas un tour quand il battait comme il le faisait dès que j'étais près de lui.

Il se sépara de moi quand Thaïs vint nous rejoindre, elle nous regarda étrangement. J'avais pris la peine lui raconter notre escapade nocturne de la veille et elle m'avait confié qu'elle nous voyait bien ensemble, David et moi. J'avais ris mais après réflexion je m'étais résignée, c'était vrai.

Il partit rejoindre Roméo, me laissant un dernier regard et un léger clin d'œil, ce qui n'avait d'ailleurs pas échappé à Thaïs qui me regardait amusée. Son regard qui voulait dire « Tu vois je te l'avais dit ! » me fit sourire et je reportai mon attention sur la photo. Elle représentait un de ces bidonvilles démunis du Brésil. Des visages en plusieurs morceaux étaient collés ici et là. Mais le plus impressionnant fut un train recouvert de plusieurs paires d'iris. Elles étaient noires et blanches, comme le reste des clichés, et par passage s'accordaient à des visages posés en-dessous. C'était drôle.

A la pause du midi nous était accordée une liberté, nous pouvions manger où nous le souhaitions. Le McDo le plus proche fut le bienvenu pour les trois quarts des étudiants et notre bande suivit le mouvement. La queue devant le lieu de service s'étendait jusqu'à la porte d'entrée et nos estomacs criaient famine. Les garçons avaient trouvé pour occupation de regarder chaque fille qui passait. Thaïs et moi rigolions de la situation même si voir David regarder d'autres filles ainsi me faisait mal. Nous n'étions pas plus que des amis, je ne devais pas penser ainsi. La fille aux cheveux bleus attrapa mon coude et nous voilà parties à faire la même chose. On regardait les garçons, plutôt mignon pour la plupart, et on riait. Mon ventre me faisait encore plus mal que lorsque j'avais seulement faim.

Au bout d'un certain temps qui me parut interminable, la dame qui prenait les commandes apparut dans mon champ de vision. Elle se dépêcha de prendre nos commandes, comme à mon habitude je pris un BigMac et quelques frites. Moi qui pensais que je mangeais beaucoup, quand je vis la ration de Thaïs, je me sentis apaisée. Son plateau était rempli de sandwichs en tout genre et d'une portion de frites. Comment tout ça pouvait-il tenir dans un corps comme le sien ? La réponse restera un mystère.

Crazy for loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant