Depuis les dix jours qui s'étaient écoulés suite à la réunion, le Manoir aux murs chaleureux avait terni en une teinte plus grisonnante. Les états d'esprit étaient assaillis par la crainte d'un échec de la mission qui n'aurait aucune autre fin que celle d'une mort douloureuse infligée par Dives. Les scénarios les plus cauchemardesques sillonnaient les recoins de leur tête, noyant certains dans un océan d'incertitude.
Dans la salle à manger, Kyle se perdit sur la forêt qu'il voyait danser la mélodie du vent à travers la fenêtre. Rien ne semblait perturber l'harmonie de cette valse, pas même le danger constant qui l'entourait. Elle se préoccupait seulement du doux son que lui soufflait le vent.
Après s'être lassé de cette danse, il quitta la forêt des yeux pour s'attarder sur la petite horloge qui reposait sur la commode à sa gauche. Plus que quinze minutes le séparaient de l'heure du déjeuner, mais Kyle avait fini ses tâches matinales bien avant, ce qui l'avait conduit dans cette salle telle une âme errante. Mais, lorsque les aiguilles montreraient midi, les cinq autres habitants de cette maison réchaufferaient la fraîcheur de son âme.
Derrière lui, la table était déjà dressée et prête à recevoir le délicieux plat qu'Aaron était en train de cuisiner. L'odeur de sa bonne cuisine s'était répandue dans tout le Manoir jusqu'aux narines de Kyle. Ce dernier n'aurait beau jamais l'admettre à haute voix, Aaron préparait ce qu'il y avait de meilleur avec des ingrédients pourtant réduits par le manque d'accès aux différents aliments. Il lui fallait pêcher au lac, alors que c'était interdit. Il lui fallait chasser dans la forêt, alors que cette dernière était également interdite d'accès. Toutefois, il ne craignait guère la flagellation qui lui serait infligée si les Légionnaires venaient à découvrir ses petites balades dans la forêt, et cueillait des herbes pour Zack et des champignons pour sa cuisine. Son palais doté d'une sensibilité plus raffinée que celui des autres affinait son sens gastronomique et faisait profiter à ses amis d'un bon repas que beaucoup n'avaient pas le droit.
Mais, cela n'était pas suffisant pour lui défaire de ses idées nocives. Le bout de ses doigts tapotait nerveusement contre sa cuisse alors qu'il reportait son regard sur la vue que lui offrait la fenêtre. Les tics tacs de la petite horloge perturbaient la sérénité de la salle ainsi que de son cœur. Bientôt, ils ne devinrent plus qu'un martyre. Les décibels de ce bruit mécanique se multiplièrent jusqu'à devenir omniprésents autour de lui, et les massages à la tempe ne suffisaient plus. Les murs ternes autour de lui s'assombrirent et se rétrécirent. Et, alors qu'ils étaient sur le point de l'écraser, Kyle sortit de sa poche la fiole que Zack lui avait fait cadeau il y avait plus d'une semaine. Il enleva le bouchon et versa un comprimé dans le creux de sa main avant de ramener cette dernière à sa bouche et de l'avaler sans difficulté. Les effets se firent ressentir dans la minute, lui offrant au moins une petite heure de répit qu'il savourait toujours avec plénitude.
— Mais si je te dis que je ne sens plus mes mains ! résonna la voix de Gaby.
Elle entra dans la salle à manger accompagnée d'Emma.
— Je peux comprendre que tout faire à la main puisse être fatiguant, mais tu n'exagèrerais pas un peu ?
— Enfin, peu importe. Elles doivent être parfaites pour le jour-J ! ajouta gaiement la brune. Il faudrait que tu reviennes tout à l'heure pour les dernières retouches.
— D'accord, confirma Emma, amusée de l'enthousiasme qu'animait son amie depuis quelques jours.
Mais, son sourire s'évanouit aussitôt qu'elle vit Kyle près de la fenêtre. Ce dernier l'observait déjà depuis son arrivée, mais il était si discret qu'on ne remarquait pas toujours sa présence.
Emma s'en voulait de s'être montrée aussi hostile l'autre jour. Il s'était excusé, et elle ne lui avait répondu qu'avec sa rancœur, manquant à ce moment-là d'empathie et d'objectivité. Elle aimait se dire que son comportement distant était justifié. Après tout, toutes les raisons du monde lui accordaient une animosité envers lui. Mais, n'était-ce pas là une solution de facilité ?
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PILLAR | T1
Science FictionDans un monde sombre, un pays dont le peuple était divisé en deux y subsistait. L'un s'appelait Dives. Aussi cupides qu'hypocrites, ils sont les favoris du président Varnahm. Le second s'appelait Fames. Misère et mort les guettaient jusqu'à ce que l...